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La relation entre mes parents était tendue...

Pour mon premier article en solo diffusé par Neuropresse, j’ai choisi un sujet qui passe souvent inaperçu dans les conversations, notamment dans celles portant sur la santé mentale. Il s’agit du divorce.

J’ai eu la chance de m’entretenir avec un proche qui a accepté de se confier ouvertement sur le sujet.

On ne traite pas d’un tel sujet par hasard, encore moins quand on lui donne une tribune. Car faire face au divorce de ses parents n’est pas chose facile. Aussi, j’espère que ce témoignage pourra aider ceux et celles qui subissent la séparation de leurs parents, et à vivre et à sortir de cette période critique sans trop de difficultés.

Bonne lecture !

image retrouvée sur : https://unecroqueusedelivres.wordpress.com/2018/10/02/contre-la-violence-conjugale/

Bonjour, je te remercie d’avoir accepté de partager avec nous ton expérience d’un ado qui a souffert de la séparation de ses parents.

- Bonjour Alicia, merci de me l’avoir proposé. C’est avec plaisir que je le fais.

Entrons tout de suite dans le vif du sujet. Quel âge avais-tu quand tes parents ont divorcé, et quel âge as-tu aujourd’hui ?

- Mes parents se sont séparés quand j’avais 15 ans. J’en ai 27 aujourd’hui.

Dirais-tu que le divorce a été difficile ?

- La séparation en tant que telle n’a pas été difficile. Je m’y attendais, mes frères et soeurs aussi, et cela représentait à nos yeux une bonne décision selon les circonstances.

La période de séparation a-t-elle été longue ou plutôt brève ?

- Cela s’est fait rapidement. Mes parents ont été ensemble pendant environ 24 ans, mais ils n’étaient pas mariés. Par conséquent, il n’y a pas eu de demande de divorce avec toute la paperasse administrative que cela implique.

Tantôt tu as mentionné que « la séparation en tant que telle n’a pas été difficile », mais cela sous-entend qu’il y a eu quand même des moments forts en émotion ?

- La relation entre mes parents était tendue. J’assistais avec mes frères et soeurs à beaucoup de conflits. Nous y étions parfois impliqués, entre autres quand nos parents demandaient notre opinion. Nous avions alors l’impression que nous devions choisir un camp.

Peut-on dire que vous formiez tout de même une famille unie ?

- Je me souviens malgré tout de bons moments passés en famille. Toutefois, pour revenir à la question précédente, je pense que les conflits et les situations qui demandent de choisir un camp nuisent à la bonne entente familiale. Aujourd’hui, avec du recul, je me rends compte que nous n’étions pas réellement proches ; nous n’avions pas pour habitude de nous confier les uns aux autres, et les démonstrations d’affection étaient plutôt rares.

Il est courant qu’une scène en particulier marque les esprits dans ce genre de contexte.

- Je me souviens qu’il régnait généralement un climat lourd à la maison ; une conversation anodine pouvait très rapidement devenir un sujet de dispute. Je me rappelle que nous, les enfants, nous avions l’impression d’être toujours sur nos gardes. Pour ce qui est d’une scène en particulier, je préfère ne pas partager ça.

D’après ce que tu racontes, on comprend que l’annonce de la séparation ne vous a pas étonnés.

- Soulagement et compréhension sont les premiers mots qui me viennent à l’esprit quand je repense à ce moment-là. Je savais que la séparation n’allait pas tarder car ma mère nous en parlait, à nous les enfants. Elle nous demandait notre avis, et comment nous allions réagir, etc. Nous étions jeunes, mais nous comprenions que la séparation était un choix sensé. Nous n’en pouvions plus des chicanes, du climat de tension quasi permanent. La séparation marquait pour moi le début d’une nouvelle vie.

Les enfants ont tendance à croire qu’ils sont responsables de la séparation. Ils se sentent coupables de ne pas avoir su garder leurs parents ensemble.

- Non, je n’en prenais pas le blâme. Je comprenais que mes parents avaient de la difficulté à vivre ensemble, à faire des compromis, à s’accepter comme ils étaient et à s’adapter. Je pouvais deviner tout cela simplement à les voir agir. Par contre, je dois admettre que je me sentais impuissant. J’aurais voulu être capable de les faire asseoir pour qu’ils aient une discussion honnête, pour qu’ils se parlent calmement. Mais le garçon de 15 ans que j’étais n’avait pas suffisamment d’influence sur ses parents. J’étais réduit au rôle de spectateur, j’en ai bien l’impression.

Entretenais-tu secrètement l’espoir que les choses allaient s’arranger ?

- Que mes parents reviennent ensemble ? Je ne le souhaitais pas.

- À l’époque, je pensais que leur rupture n’avait rien d’inhabituel. Il faut dire que je n’avais pas d’exemples ou de références sur lesquels m’appuyer. Aujourd’hui, avec le recul, je sais bien que j’aurais aimé plus d’harmonie dans ma famille. Je me rends bien compte que les disputes conjugales et la séparation de mes parents ont eu un impact sur ma vie. J’ai dû faire des efforts et me battre pour retrouver et conserver une bonne santé mentale. Mon parcours n’a pas été sans obstacles ; j’ai souffert d’anxiété, j’ai eu des problèmes de comportement à l’école et de mauvaises fréquentations, et j’ai été porté à m’isoler. Les difficultés que j’ai rencontrées, j’ai tendance à les attribuer en partie aux problèmes conjugaux de mes parents.

Faute de ne pouvoir reprocher à tes parents leur séparation, serais-tu porté à blâmer quelqu’un d’autre ?

- Je suis passé par toute la gamme des émotions dans mes rapports avec mon père. Il était distant, effacé. C’était aussi un homme très strict et difficile d’approche. Je lui en voulais et je lui en ai voulu longtemps de ne pas me témoigner plus d’intérêt. Je me rends bien compte aujourd’hui combien la présence du père est importante pour un jeune homme qui fait l’apprentissage de la vie. Car le père sert souvent de modèle et de mentor.

Si je comprends bien, le caractère et la personnalité de votre père n’arrangeaient pas les choses ?

- J’en ai parlé à quelques reprises. Notre relation était plutôt bonne dans l’ensemble, mais il faut avouer qu’elle était aussi tendue. Je me rends compte que j’avais de la difficulté à me confier à mes parents, à leur demander conseil. Il fallait toujours que je surveille mes mots dans mes conversations avec mon père. Je ne savais jamais comment il allait réagir. Je cherchais souvent à attirer son attention, mais il demeurait distant. Avec ma mère, en revanche, c’était plus facile, nous avions une bonne relation mère-fils. Mais j’aurais tout de même aimé jouir d’une bonne relation avec mes deux parents et non avec un seul, mais il aurait fallu pour ça que mon père s’implique.

La séparation a-t-elle changé la nature de tes rapports avec ton père ?

- Ils se sont étonnamment améliorés, car les tensions avaient énormément diminué. Chose qu’il n’avait jamais faite auparavant, mon père a commencé à s’impliquer davantage dans la vie familiale. Il y avait aussi moins de conflits. Bizarrement, je pourrais aller jusqu’à dire que mes parents se voyaient plus souvent suite à la séparation. Mon père venait chez ma mère, il l’aidait dans ses projets et il s’informait de nous, ses enfants. Ce n’était plus le même homme que j’avais connu. Visiblement, il était plus heureux et cela se voyait dans sa façon d’être avec nous. Je vivais avec ma mère, et mes rapports avec elle n’avaient pas changé. J’ai appris rapidement à devenir autonome et à prendre mes responsabilités, des responsabilités qu’on pourrait peut-être qualifier de parentales en l’absence du père au foyer.

On peut dire que la séparation, souvent mal vue, a tout de même eu des effets positifs.

- Comme je l’ai déjà mentionné, ma mère et moi avons toujours entretenu de bonnes relations. Mais j’avoue que je me suis beaucoup rapproché de mon père après cet épisode. À l’époque, je faisais des études en techniques policières et, quelques années plus tard, je suis devenu policier à Montréal. Mon père était avocat, et je voyais que mon travail le passionnait. Cela a donné lieu à beaucoup de discussions. J’ai eu l’occasion de découvrir que mon père était un homme énormément cultivé, et bien renseigné sur l’actualité. Mes discussions avec lui étaient très intéressantes.

Plus tôt dans notre discussion, tu as mentionné que la pression de choisir un camp faisait partie de la dynamique familiale.

- Pendant la plus grande partie de mon enfance, j’ai été distant avec mon père et très proche de ma mère. Elle nous confiait, à nous ses enfants, les difficultés qu’elle rencontrait dans ses relations avec mon père. Nous ne pouvions que lui donner raison. Cela nous rapprochait davantage et revenait à choisir un camp, celui de ma mère. Aujourd’hui, j’en suis venu à penser que ce comportement est très néfaste à l’épanouissement de l’enfant. Dans ma tête, j’avais divisé ma famille en deux camps, celui des bons et celui des méchants.

Par la suite, les choses se sont améliorées et tu as pu découvrir un autre aspect de la vie en famille.

- Oui, mon père venait souvent voir ma mère, et moi-même par la même occasion puisque j’habitais avec elle. Nous profitions de ces moments, mon père et moi, pour avoir de vraies bonnes conversations, pour s’informer de l’un et de l’autre, et pour prendre le temps de s’attabler et d’apprécier un bon repas ensemble. Je suis reconnaissant d’avoir eu ces occasions d’apprendre à connaître un peu mieux mon père durant les trop brèves années qui ont précédé son départ.

Tu parles beaucoup de ton père au passé, tes parents ne font-ils pas toujours partie de ta vie ?

- Je vois ma mère régulièrement. Mon père, non. Il a refait sa vie avec une autre femme. Il habite maintenant de façon permanente à l’étranger.

As-tu déjà pris la peine d’exprimer ce que tu ressentais à l’époque ? Ou as-tu enfoui tout cela ?

- J’ai effectivement enfoui tout ça. À l’époque, j’étais incapable d’identifier mes émotions, et ce n’était pas sain. J’ai commencé à comprendre que quelque chose n’allait pas dans ma façon de penser et d’agir quand je me suis fait de vrais bons amis, quand j’ai pu être témoin de leur vie en famille. Devenu très proche de mes amis, j’ai pu me confier à eux pour la première fois vers 16 ou 17 ans.

Ce n’est donc pas la première fois que tu parles de ton expérience aussi ouvertement.

- Oui et non. Je me confie à mes amis, mais ils ne m’ont jamais autant posé de questions que toi sur ce que j'ai vécu en rapport avec la séparation de mes parents. J’avoue que l’occasion d’en parler aussi ouvertement me permet de mettre de l’ordre dans mes idées et d’évoluer davantage. À bien y penser, je dirais finalement que c’est la première fois que j’ose me confier autant sur le sujet sans ressentir ma gêne habituelle ou un certain malaise.

J’ai l’impression que tu n’en parles pas plus qu’il ne faut encore aujourd’hui. Est-ce une manière de te protéger ?

- C’est un sujet dont j’ai honte de parler. Quand je vois ces gens autour de moi qui semblent avoir, entre guillemets, des familles parfaites, j’ai l’impression qu’on va me juger à travers la mienne, qu’on va me prendre pour un extraterrestre. Je n’aime pas parler de mon passé familial, par crainte de dévoiler qu’une bonne partie de ma vie a été difficile et douloureuse. Je dirais donc que oui, en évitant d’en parler, je me protège en quelque sorte d’éprouver des sentiments malsains tels que la gêne et la honte.

Mais pourquoi une telle gêne ?

- Parce que je pense que la famille est la chose la plus importante. Les conflits perpétuels, la séparation, c’est cela qui m’a fait perdre la partie la plus importante de ma vie. Je perçois ça comme un échec.

De nombreuses personnes ont recours à une thérapie dans un cas comme le tien.

- Ça n’a pas été mon cas.

Mais les séquelles émotionnelles ne sont pas à négliger.

- Je pense que ces séquelles ont atteint leur sommet à l’adolescence. Anxiété, isolement, stress de performance, manque de confiance en soi, difficulté à accepter l’autorité (professeurs, patrons, etc.). Je crois que si j’avais continué dans cette pente, mon état n’aurait fait qu’empirer. J’ai choisi plutôt de prendre le taureau par les cornes et de faire face au problème, de faire des efforts pour me libérer de cette lourde charge émotionnelle. J’en ai fait le projet d’une vie.

Est-ce que cela t’arrive de te juger sévèrement ?

- Je dirais que oui, de temps en temps. Parce que je veux encore être parfait en tout temps et dans toutes les situations. Il m’arrive souvent de dire que je suis perfectionniste ou d’autres choses du même genre. Mais je sais bien que le mot perfectionniste est un terme politiquement correct pour décrire un manque de confiance en soi. C’est une façon détournée de me juger.

Crois-tu que des séquelles plus importantes pourraient être enfouies plus profondément sans que tu en aies vraiment connaissance ?

- Peut-être. Je crois que cet épisode de ma vie a affecté ma capacité à entretenir une relation de couple saine. J’ai eu beaucoup de difficulté à m’engager auprès de mes partenaires. Je pense que la qualité des rapports entre les deux parents constitue le premier et le plus important modèle d’une relation de couple. L’enfant observe et enregistre ce qui se passe dans son environnement. Cela forge sa personnalité d’adulte en devenir. Je me répète : je crois que la famille est ce qu’il y a de plus important. Je tire de mon vécu familial ma première motivation à entretenir de meilleures relations.

Il est démontré que la séparation des parents a tendance à créer un vide, un manque chez l’enfant.

- L’absence de mon père m’a privé de modèle, et les problèmes familiaux ont créé chez moi un sentiment de vide que j’ai cherché à combler par moi-même. Faute d’avoir un exemple à suivre, j’ai dû apprendre par moi-même. J’ai beaucoup lu sur le sujet, sur la manière dont les problèmes familiaux affectent la psychologie d’un individu et son développement. J’ai même pris des cours complémentaires hors programme à l’université qui sont axés sur cet aspect. Cela m’intéresse et m’aide à combler les manques.

Selon ce que tu m’as dit, tu étais adolescent quand tes parents se sont séparés. C’est arrivé à un moment critique où le garçon que tu étais allait bientôt devenir un adulte. Et à cet âge, on veut normalement expérimenter plein de nouvelles choses. Dirais-tu alors que l’épisode de la séparation ne t’a pas aidé à passer à l’âge adulte ?

La réponse à cette question, et à bien d’autres, vous sera donnée la semaine prochaine alors que Neuropresse publiera la deuxième et dernière partie de cet entretien entre notre collaboratrice Alicia et cet homme qui a généreusement consenti à témoigner d’une période difficile de sa vie. À bientôt !

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