Conséquences de l’exposition prénatale à l’alcool
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Dans la même lignée que les opioïdes, l’alcool, l’une des drogues les plus fréquemment consommées à travers le monde, peut avoir un impact sur le neurodéveloppement fœtal.
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L’alcool contient de l’éthanol, qui a un effet dépresseur au niveau du système nerveux central. Il est connu que cette drogue induit diverses malformations lors de la vie fœtale - on dit alors que l’alcool est tératogène (Georgieff et al., 2018). Sa consommation durant la grossesse est aussi associée à de nombreux problèmes neurodéveloppementaux, comme le spectre des troubles de l’alcoolisation fœtale (STAF), un terme utilisé pour regrouper l’ensemble des effets dus à l’exposition prénatale à l’alcool. Le STAF inclut quatre diagnostics dont le syndrome d’alcoolisation fœtale. La prévalence du STAF est de 8 pour 1000 dans la population pédiatrique, et une femme sur 13 ayant consommé de l’alcool durant la grossesse mettra au monde un enfant avec un STAF (Lange et al., 2017). De grandes variations régionales et populationnelles sont observées : un taux de prévalence plus élevé est retrouvé en Europe par rapport aux autres continents. De plus, certaines populations, comme les enfants adoptés d’Europe de l’Est et les jeunes autochtones, sont largement plus vulnérables de présenter un STAF (Robinson et al., 1987; Landgren et al., 2010).
De nombreuses observations ont lié le STAF à des troubles neurodéveloppementaux (Dörrie et al.,2014). L’exposition anténatale à l’alcool serait impliquée dans de nombreux symptômes observés de la naissance à l’âge adulte. Par exemple, les adolescents exposés présentaient une déficience cognitive, ce qui se traduit par une faible compréhension des concepts abstraits, des troubles de conduite ainsi qu’un haut taux de délinquance et de décrochage scolaire. Tel qu’observé chez les modèles animaux, il est possible que l’exposition prénatale à l’alcool mène à une diminution du nombre de neurones dans plusieurs régions cérébrales et à une baisse de la plasticité synaptique. Le STAF mène à de nombreux changements de structure et de connectivité dans le cerveau. En effet, des altérations de la matière blanche ainsi que de plusieurs circuits neuronaux sont impliquées dans les tâches cognitives énumérées ci-dessus (Georgieff et al., 2018). Pour les adultes ayant été exposés à l’alcool, de nombreux troubles psychiatriques ont été rapportés. Le trouble de déficit de l’attention et de l’hyperactivité, dont les symptômes sont observés durant l’enfance et l’adolescence, des troubles de l’humeur, un trouble de panique et des troubles d’usage de substances sont les troubles psychiatriques les plus fréquemment rapportés. Il est intéressant de noter que l’une des substances consommées par ces adultes qui développent un trouble d’usage d’alcool (TUS) est justement l’alcool (Alati et al., 2006). Les taux d’incidence du TUS avant 21 ans sont plus élevés chez les individus qui ont été exposés à l’alcool au début de la grossesse en comparaison de ceux exposés à la fin. Une telle observation soutient l’idée que l'exposition prénatale à l’alcool peut affecter différemment le développement d’une psychopathologie selon le trimestre gestationnel. En effet, des résultats supposent qu’une exposition importante à l’alcool dans les premières semaines de la grossesse augmenterait les chances d’observer un STAF par rapport à une exposition prénatale plus tardive (May et al., 2013). Ces résultats soutiennent également l’hypothèse selon laquelle l’exposition aux drogues lors des premières semaines de la grossesse mènerait à des effets plus importants sur le neurodéveloppement fœtal en comparaison à une exposition à la fin du troisième trimestre. En revanche, il est difficile de déterminer si le risque de développer un trouble d’usage d’alcool à l’âge adulte dépend de la dose à laquelle les sujets sont exposés durant la grossesse. De plus, il demeure difficile pour les chercheurs d'affirmer avec certitude que l'exposition anténatale à l’alcool est directement liée aux troubles d’usage d’alcool observés subséquemment.
Pour évaluer l’impact de l’exposition prénatale à l’alcool lors de la transition de l’adolescence à l'âge adulte, des sujets exposés à l’alcool avant leur naissance ont été comparés à des sujets provenant d’un milieu socio-économique similaire (Lynch et al., 2017). L’exposition prénatale à l'alcool semble être liée à une hausse de troubles comportementaux chez un sous-groupe de ces jeunes adultes. Ceux qui présentaient peu de dysmorphies (c’est-à-dire des malformations physiques) avaient davantage de troubles comportementaux que ceux ayant plus de dysmorphies. Pour l’ensemble des jeunes adultes ayant été exposés à l’alcool, une consommation importante d’alcool et de marijuana a été rapportée. De ce groupe, les hommes ayant ni dysmorphies ni déficit cognitif sont ceux qui semblent consommer le plus d’alcool et qui passent le plus de temps en milieu carcéral. Bien que cette étude soutient l’idée qu’une exposition prénatale à l’alcool serait liée à une consommation importante plus tard dans la vie, les sujets sans déficit cognitif n’ont pas reçu un diagnostic de TUS. Autrement dit, une exposition anténatale à l’alcool mènerait à une consommation plus importante sans qu’elle mène à une altération fonctionnelle. Les auteurs suggèrent également que ces jeunes hommes sans déficit cognitif qui consomment plus d’alcool seraient plus vulnérables à des facteurs environnementaux qui eux sont aussi associés à la consommation de substances, comme un statut socioéconomique faible. D’autres études longitudinales sont nécessaires pour déterminer les liens causaux entre ces différentes variables.
Ainsi, l’exposition prénatale à l’alcool semble induire des déficits comportementaux et cognitifs qui sont spécifiques et persistants. Ces déficits semblent dépendre du trimestre gestationnel auquel le fœtus est exposé ainsi que de la durée d’exposition intra-utérine (Behnke et Smith, 2013; Ross et al., 2015). Il a également été rapporté que les enfants de parents alcooliques sont plus à risque de développer un trouble récurrent de dépression majeure (Vidal et al., 2012).
Références
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