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Au sujet de l’ECT : Suite et fin

Deuxième et dernière partie d’une discussion « chargée » avec la docteure Marilyne Landry, psychiatre spécialisée en électroconvulsivothérapie. Neuropresse a diffusé la première partie de cette longue entrevue dans son édition du 28 avril dernier. Bonne lecture !

Dre Marilyne Landry (gauche) discutant avec Agnès M. Croteau

AC : Quelles sont les indications versus les contre-indications dans l’emploi de l’ECT ? ML : En Amérique du Nord, il est surtout indiqué d’avoir recours à l’ECT dans les cas de dépression majeure à risque de devenir sévères, que cette dépression soit résistante ou non aux autres traitements. Les principales indications vont aussi pour la maladie bipolaire, quand les épisodes de manie sont réfractaires aux autres traitements, et pour la schizophrénie, également réfractaire aux autres thérapies. Enfin, l’ECT va être indiqué en premier recours pour les cas de catatonie ; les gens atteints de ce trouble psychiatrique peuvent s’enfermer dans le mutisme, voire même refuser de s’alimenter. Je crois que cela résume bien les principales indications.


Pour ce qui est des contre-indications, en fait, il n’y en a aucune qui soit absolue. Mais certaines sont relatives. J’entends par là qu’il existe des cas où il faut faire preuve de prudence avant de recourir à l’ECT, car certains problèmes de santé peuvent venir augmenter les risques reliés à l’anesthésie générale. Je pense aux problèmes cardiaques, cardio-pulmonaires, vasculaires ou neurologiques récents (dans les dernières semaines précédant le traitement). Dans ces cas-là, il est recommandé d’attendre quelques semaines avant de procéder au traitement. Mais, comme je le disais plus tôt, il n’y a pas de contre-indications formelles à l’ECT.


AC : Jusqu’à quel point l’ECT est-elle efficace ?

ML : En fait, ce traitement est très efficace. Pour la dépression majeure, c’est certainement celui qui est le plus efficace. Une analyse statistique de ce qu’on appelle la “taille d’effet” de l’ECT comparée à celle des antidépresseurs a démontré que l’ECT était nettement plus efficace que les antidépresseurs pour le traitement de la dépression majeure (0,9 de taille d’effet pour l’ECT contre 0,3 pour les antidépresseurs). De 60 à 80 % des personnes atteintes de ce trouble entrent en rémission après avoir reçu ce traitement. Quant aux personnes souffrant de manie réfractaire à la médication, jusqu’à 90 % d’entre elles répondent bien à l’ECT. C’est par contre plus complexe dans les cas de schizophrénie. Dans ces cas-là, l’objectif recherché ne sera pas la rémission complète, mais plutôt une diminution significative des symptômes dans le but d’améliorer la qualité de vie et le fonctionnement des personnes atteintes. Là encore, environ 50 % de ces personnes vont ressentir des effets bénéfiques suite à l’ECT.


AC : Quels sont les risques associés à l’ECT ?

ML : Ce n’est quand même pas un traitement banal. Mais il est beaucoup plus sûr de nos jours grâce à des techniques modernes et à la présence, durant l’intervention, d’un anesthésiste, d’une infirmière, d’un inhalothérapeute et d’une technologue en électrophysiologie médicale. La journée même de l’intervention, le patient pourrait subir des effets secondaires indésirables tels que de la confusion (transitoire), des maux de tête et de la nausée. Tous des effets secondaires légers qui sont aussi associés à l’anesthésie générale et qui ne durent que quelques heures. Pour ce qui est des risques, le plus important est pour la mémoire. On constate aujourd’hui que l’ECT présente des effets secondaires sur les fonctions cognitives des patients, mais que ces effets sont transitoires, ne durant que quelques jours. Rapidement, après la fin de la séance, on observe une amélioration des fonctions cognitives. Celles-ci retrouvent l’état dans lequel elles se trouvaient avant le traitement, et font parfois même mieux. Car il faut savoir que les effets secondaires de la dépression touchent également la cognition. Pour tout dire, il importe de mentionner que l’ECT peut avoir des impacts à long terme sur la mémoire autobiographique, c’est-à-dire la collection de souvenirs et de connaissances sur soi. Malheureusement, il est encore aujourd’hui difficile de savoir quelles sont les personnes à risque.


De la façon qu’on procède de nos jours pour donner le traitement, l’ECT présente des risques de mortalité très faibles. On rapporte un incident par 100 000 séances. Il s’agit donc d’une thérapie très sûre.


AC : Est-ce qu’on peut affirmer que les bienfaits ou les avantages du traitement dépassent toujours, ou à tout le moins la plupart du temps, ses effets indésirables ?

ML : Très certainement. Les bénéfices du traitement dépassent largement les effets secondaires possibles. De plus, les effets indésirables qui y sont associés sont habituellement transitoires et légers, alors que les bénéfices sont ressentis à plus long terme. L’ECT aide vraiment à traiter les gens qui souffrent de dépression sévère et pour qui les traitements conventionnels n’ont pas fonctionné.


On a déjà associé à l’ECT un risque de rechute élevé par le passé. C’est pourquoi aujourd’hui nous procédons ainsi : À la personne qui éprouve un épisode aigu de dépression ou de manie, on recommande plusieurs séances d’ECT consécutives, de six à 12 au total, données jusqu’à trois fois par semaine, sur une période de deux à quatre semaines. De 20 à 30 % des patients vont malgré tout faire une rechute après ces séances de thérapie. À ces patients, on pourra proposer des séances d’ECT de maintien. On leur demandera de se présenter à l’hôpital une fois par mois, ou aux quatre à six semaines, pour recevoir une séance d’ECT que je qualifierais de « coup de fouet » (ou boost en anglais). Le but est de maintenir ces personnes en rémission et de prévenir de nouvelles rechutes.


AC : Nos lecteurs voudront sans doute savoir s’il faut obtenir le consentement du patient avant de procéder.

ML : Voilà une question super pertinente. Oui, effectivement, il faut obtenir le consentement des patients avant de les soumettre à l’ECT. Il ne suffit pas qu’ils signent le formulaire d’autorisation à recevoir des soins qu’on trouve habituellement dans les hôpitaux. Les patients doivent signifier leur accord en apposant leur signature en bas d’un document conçu spécialement pour l’ECT. Mais avant de signer, les patients auront été bien informés, à savoir que l’ECT est clairement indiquée dans leur cas, que le traitement comporte des risques à court et long terme. Ils doivent également consentir à recevoir un nombre bien déterminé de séances de traitement. Il n’y a pas de cachettes, ni de séances additionnelles ! Les patients savent très bien à quoi ils ont donné leur accord. Ils auront même consenti à recevoir l’anesthésie générale qui doit être pratiquée avant chaque séance.


La majorité des gens sont bien consentants. Mais il existe des cas exceptionnels où on doit obtenir d’un juge une ordonnance de traitement avant de procéder à l’ECT. Certaines personnes sont, en effet, trop malades, trop confuses pour donner un consentement libre et éclairé.

AC : Pouvez-vous nous donner un exemple de cas concret, en conservant l’anonymat, bien sûr ? ML : Certainement. Par exemple, quand j’étais résidente, j’avais sous mes soins un patient qui présentait un premier épisode de dépression majeure, et sévère de surcroît. Au cours de son hospitalisation, on lui a proposé divers antidépresseurs qui, malheureusement, n’ont pas donné les effets escomptés. Il n’y avait tout simplement pas d’amélioration clinique. L’homme est allé de mal en pis. Il a commencé par avoir des symptômes de psychose. Pensant que sa nourriture était empoisonnée, il a cessé de s’alimenter. Puis, il a été assailli d’hallucinations auditives ; il entendait presque constamment des coups de fusil. Il était extrêmement souffrant. On lui a proposé alors l’ECT, mais le patient était un travailleur social à la retraite, et il craignait que le traitement puisse porter atteinte à son autonomie et à sa cognition. Donc, il était très réticent. On a respecté son choix et on lui a proposé d’autres options médicamenteuses, des combinaisons de médicaments. Malheureusement, rien n’y faisait. On lui alors proposé de nouveau l’ECT et il a finalement donné son consentement. Après seulement quelques semaines de traitement, le patient est passé au stade de la rémission complète. Il s’est libéré de tous ses symptômes de psychose et de dépression. Il est retourné à la maison, il a repris le poids qu’il avait perdu, puis il a retrouvé une belle qualité de vie. Par la suite, l’homme s’est même impliqué dans la recherche sur l’ECT, et il s’est dévoué à combattre la stigmatisation de l’ECT.

AC : Pour conclure, qu’aimeriez-vous ajouter à propos de la pratique et de l’avenir de l’ECT ? ML : J’aimerais d’abord rappeler à quel point l’ECT est un traitement essentiel en psychiatrie. Cette thérapie aide vraiment nos patients. Il est malheureux que ces derniers aient en plus à souffrir des préjugés qu’entretiennent les gens à propos de la maladie mentale. Je trouve aussi qu’il est tout fait approprié de parler de l’ECT sur la place publique afin de réduire la stigmatisation dont fait l’objet ce traitement. L’ECT est non seulement un traitement indispensable, c’est aussi un traitement devenu très sûr grâce aux techniques modernes.


Enfin, j’aimerais saisir cette occasion pour remercier toutes les personnes qui sont impliquées de près ou de loin dans l’ECT, ceux et celles qui ont amené son instauration et qui voient aujourd’hui à son bon fonctionnement au quotidien : les pharmaciens, la Direction des Services Professionnels (DSP), la Direction des Soins Infirmiers (DSI), les chefs d’unité et gestionnaires, les infirmiers et infirmières, les inhalothérapeutes, les technologues en électrophysiologie médicale, le commis qui imprime tous les documents qui servent à la bonne marche des choses, les préposés, etc. Un grand merci à tout ce beau monde pour leur dévouement.

AC : Et merci à vous, Dre Landry. C’était vraiment un plaisir de m’entretenir avec vous. ML : Le plaisir était pour moi.


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