top of page

Ce n’était pas ton heure



Entrevue avec Yves Jourdain, bénévole chez Revivre ayant de l’expérience auprès des personnes aux prises avec des idées suicidaires.

Qui êtes-vous?

YJ : Sur le plan de la santé mentale, j’agis comme bénévole depuis plus de 10 ans chez Revivre. En tant que bénévole, je fais un peu de tout : de l’intervention, de l’animation d’ateliers d’autogestion ou bien de groupes d’entraide, de l’écoute, des présentations, etc. Je participe aussi à un comité à l’Université du Québec à Montréal qui s’occupe d’un outil appelé «Aller mieux à ma façon», en compagnie de Janie Houle, chercheuse et professeure titulaire au département de psychologie de l’UQAM.


Sur le plan professionnel, je suis quelqu’un qui a fait carrière, mais qui a pris sa retraite il y a maintenant 15 ans.

Qu’est-ce que Revivre?

YJ: Revivre, c’est un organisme voué à aider les gens aux prises avec de l’anxiété, la dépression, ou encore le trouble bipolaire. Nous aidons les proches aussi, mais surtout les gens qui en souffrent étant donné qu’il existe d’autres très bons organismes pour les proches spécifiquement. Pour ce qui est des souffrants cependant, Revivre est à peu près le « top » au Québec.

Revivre opère avec différents programmes. D’abord, il y a le programme « J’avance! », qui est un ensemble d’ateliers d’autogestion :


-Autogestion de l’anxiété -Autogestion de la dépression -Autogestion pour le trouble bipolaire -Autogestion de l’anxiété en milieu de travail -Autogestion de l’estime de soi


Ce sont les cinq ateliers que Revivre donne et qui sont en train d’essaimer à travers le Québec. Actuellement, nous formons des gens pour donner l’atelier, et nous commençons aussi à former des formateurs, c’est-à-dire des gens qui vont former d’autres personnes. Revivre n’est quand même pas immense et nous n’avons pas tout le personnel que nous voudrions, mais c’est le problème de bien d’autres organismes de ce genre.


Un autre service que Revivre offre est celui des groupes d’entraide, qui sont offerts à raison de quatre fois par semaine. C’est gratuit et pas besoin de réserver, il suffit de se présenter à nos nouveaux locaux (nous avons déménagé au 418 rue Sherbrooke Est*).


Il y aussi une ligne d’écoute. En fait, on l’appelle une ligne de soutien à l’autogestion. C’est-à-dire que les gens qui appellent chez Revivre, c’est certain qu’on va les écouter, compatir avec eux et démontrer beaucoup d’empathie, mais rapidement, notre cheminement normal est d’amener les personnes vers des pistes d’autogestion. Cela signifie de demander, par exemple : «qu’est-ce que vous pouvez faire pour améliorer votre situation par vous-même? Où avez-vous du pouvoir? Est-ce que vous exercez ce pouvoir? » Ça, c’est vraiment la mentalité de Revivre. Il y a d’autres endroits où les gens peuvent appeler, par exemple Tel-Aide, pour carrément dire : « Ça ne va pas bien, je ne sais plus quoi faire, je suis triste… ». Cependant, si la personne ne le demande pas, les intervenants ne vont pas nécessairement orienter les gens vers l’autogestion. Ils vont plutôt les diriger vers des organismes comme Revivre si la personne démontre un peu d’intérêt à aller mieux par elle-même. De la même façon, nous dirigeons aussi certaines personnes vers d’autres organismes.


D’où proviennent les fonds de Revivre?

YJ : Il y a à peu près 30 % qui provient du gouvernement. Le reste, c’est des dons. Il y a des évènements deux ou trois fois par année, dont la Marche pour la Santé mentale dans laquelle Revivre est très impliqué. Bell Cause pour la cause nous donne aussi un peu d’argent. Il y a également un gala très important qui a lieu une fois par année où les gens font des encans financiers et paient un fort prix pour un très bon souper-spectacle. C’est donc de là que vient l’argent. Et puis, bien sûr, il en manque (rires).


Qu’est-ce que vous avez appris de particulier chez Revivre?


YJ : Professionnellement, j’ai été formé pour faire du marketing et pour être dans le milieu de la vente. Cependant, quand je me suis présenté chez Revivre, ils m’ont formé et m’ont appris plein de choses. Souvent, les intervenants et intervenantes nous écoutent lorsque nous faisons des interventions au téléphone et ensuite, ils vont analyser (pas critiquer) ce que l’on a fait et peut-être essayer de trouver des améliorations potentielles. C’est comme cela qu’on apprend. On apprend aussi lorsque nous écoutons les autres faire des interventions. Après une dizaine d’années (rires), vous comprenez, on obtient une bonne idée de comment sortir les gens de n’importe quelle situation.


Quelle est l’approche à préconiser avec les gens qui veulent mettre fin à leurs jours?

YJ : Avant d’arriver au COQ (Comment, Où, Quand – au passage, lorsque les gens ont la date, c’est très dangereux), en règle générale, plus que 9 fois sur 10, les gens qui appellent avec des idées suicidaires sont des gens qui ont besoin de parler. L’approche sera donc de les ramener à des choses qui sont importantes pour eux. Avez-vous de la famille? Avez-vous des amis? Qu’est-ce qui va se passer avec vos amis si vous décidez de partir? Avez-vous des animaux de compagnie? Qui va s’occuper de vos animaux? Vous seriez surpris de voir combien de personnes ne vivent que pour leur chat, leur chien, leur perruche, peu importe, mais pour un animal de compagnie. C’est ça qui les tient en vie. C’est ça qui fait qu’ils ont un but. Lorsqu’ils appellent, ces gens-là ont « perdu » de vue ce qui les tient en vie.


L’autre chose, c’est la définition du suicide : souvent, on dit que le suicide est une solution permanente à un problème temporaire. Quand une personne appelle et qu’elle est très froide, on essaie d’abord de l’amener à plus d’émotions en allant davantage au fond d’elle-même pour qu’elle parle, se confie et s’ouvre un peu plus. À mesure que la personne s’ouvre, on va essayer de trouver des choses positives ou des petites « pistes ». Moi j’appelle ça être une « bibitte à positif ». Ça peut être juste de petites choses, qu’on va creuser, pour ensuite les ramener en aidant la personne à faire un plan. On ne va pas faire le plan pour elle. Si la personne est vraiment en détresse, qu’elle envisage de se suicider de façon imminente (et ce n’est pas arrivé souvent), alors là, c’est tout le branle-bas de combat. Il y a un bouton d’alarme et tout de suite, d’autres personnes viennent écouter la conversation avec nous, puis font des suggestions sur une feuille de papier. Parfois, quelqu’un va appeler le 911. On en avise alors la personne et on continue à lui parler jusqu’à ce que l’ambulance arrive, si c’est le cas – mais c’est très rare que ça arrive chez Revivre. Ces gens-là vont plutôt appeler chez Suicide Action. Et Suicide Action a un autre modus operandi: dès qu’ils sont convaincus que la personne n’est pas suicidaire, ils vont la remercier et lui mentionner que si elle a besoin de parler plus, elle peut appeler Tel Aide ou, si elle veut plus de pistes de solution, qu’elle peut appeler Revivre.


Avez-vous des témoignages de reconnaissance?


YJ : Oh mon Dieu, oui. Souvent, souvent. Particulièrement des gens avec qui on fait de l’écoute. Il y a ce qu’on nomme des appelants réguliers, des gens qui appellent toutes les semaines. ( Cependant, on essaie d’en avoir de moins en moins, dans le sens où on préfère des gens qui vont appeler le nombre de fois qui leur convient mais pour une durée de deux ou trois mois, car dans ces cas, on peut voir qu’il y a eu un progrès, que ça va mieux.) Parfois, même à la fin de l’appel, la personne va dire: ça m’a fait tellement de bien de vous parler. Ce n’est pas croyable. Les gens sont très généreux dans leur reconnaissance. D’autres exemples : des gens qui faisaient des burn out parce qu’ils faisaient leur bac ou leur maîtrise. Finalement, ils l’ont, leur maîtrise, ils rappellent pour remercier : « ah, on s’est déjà parlé…! »


Quand on vit un problème d’anxiété, de trouble bipolaire ou de dépression chronique, ça ne part jamais complètement. Ce qu’il faut faire, c’est apprendre à vivre avec cela : comment anticiper les crises, comment les éviter, etc. Ces gens aux prises avec ces troubles évoluent et à un moment donné, on voit qu’ils sont heureux. Ils ne sont pas complètement débarrassés de leur maladie, c’est impossible – c’est comme moi, qui suis diabétique, ça ne partira jamais mais j’apprends à vivre avec cela. C’est la même chose pour les troubles bipolaires. C’est la même chose pour l’anxiété.


Il y a une chose qu’on fait dont je ne vous ai pas encore parlé, qui est vraiment excitante et nouvelle à la fois. Depuis à peu près deux ans, nous organisons les rencontres J’avance plus! On a parlé d’abord des groupes d’entraide auxquels tout le monde qui a un problème de dépression, d’anxiété ou de troubles bipolaires peut se joindre. Dans ces groupes, certains individus ont vraiment « trempé » dans l’autogestion. Les rencontres J’avance plus! sont des ateliers de 10 à 12 semaines consécutives, à raison de deux heures et demie par semaine. À chaque semaine, il y a des thèmes qui sont abordés, un cahier qui est donné à chaque participant avec des exercices à faire, des questions, etc. Du creusage! Vraiment, c’est épuisant pour les gens dans le sens où, d’une semaine à l’autre, ce sont des sujets qui vont les chicoter beaucoup et qui vont leur faire faire un travail sur eux-mêmes. Ça va les changer, ces gens-là. Ils changent, et on s’en aperçoit parce que lorsqu’on les met dans un groupe, leur comportement est vraiment différent et on voit qu’ils sont plus rapidement portés vers l’autogestion. Ce ne sera plus seulement: moi, j’ai tendance à me choquer après mon ordinateur… (c’est un cas tel quel, qui est vraiment arrivé). On entendra également : moi aussi je me choque, mais j’ai trouvé un truc! Je lui parle, je lui ai donné un nom, j’ai fait ceci, cela, j’ai utilisé de l’humour, j’ai fait une autre tâche… Autant de pistes d’autogestion qui ressortent. C’est très intéressant. On voit l’évolution et on voit que les gens qui ont suivi l’atelier, ça les a vraiment aidés. Ils continuent à y aller parce que c’est le fun d’être avec d’autres personnes bipolaires. Il y a un langage entre eux qui est très intéressant. Il y a un langage entre les gens anxieux qui est très intéressant. Les gens dans un groupe homogène se comprennent mieux. Évidemment, il n’y a pas deux personnes bipolaires identiques, mais il y a des schèmes de pensée qui se ressemblent d’une personne à l’autre.


Ce sont tous des exemples où les gens ont gagné beaucoup. Si vous allez sur le site de Revivre, vous allez voir qu’il y a des témoignages de gens qui ont passé par cet organisme et qui en ont bénéficié.

Merci beaucoup, Yves Jourdain, pour le partage de vos années d’expérience et bonne continuation chez Revivre en 2020!

Yves Jourdain, bénévole chez Revivre, en pleine action.

Liens utiles & références :

bottom of page