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Médecins de famille : au front malgré l’inquiétude et le manque d’équipement



Mardi dernier était la Journée mondiale des médecins de famille. L’équipe de Neuropresse tient à souligner le travail exceptionnel de ceux-ci. C’est pourquoi nous avons décidé d'en apprendre davantage sur leur quotidien en cette période de pandémie.


C’est dans cette perspective que j’ai décidé d’interviewer Mickael (nom fictif), médecin de famille en Ontario, et ce, afin de mieux comprendre sa réalité quotidienne en temps de pandémie. Son quotidien et sa capacité à prendre soin de ses patients ont été bouleversés. Mieux comprendre ce que vivent les médecins de famille en ces temps critiques nous permet d’apprécier encore plus l’importance de leur travail et de la place qu’ils occupent dans nos vies.


Cet entretien se veut donc être une porte d’entrée dans la vie personnelle et professionnelle de Mickael afin de mieux comprendre les enjeux de la pandémie. Étant donné que celui-ci est anglophone, la version traduite, ainsi que la version originale, seront incluses dans cet article.


Vie personnelle :


Votre famille a-t-elle peur pour vous puisque vous êtes en première ligne ?

Sans aucun doute. En mars, quand nous avons su que cela allait arriver et que nous ne savions pas encore à quel point ce serait grave, il y avait beaucoup d'incertitude. L'anxiété due à l’anticipation était assez extrême pour tous les travailleurs de la santé. Cette crainte s'est un peu calmée, maintenant que nous sommes nombreux à être enfermés, et que notre risque d'exposition est mieux contrôlé. Avec un nouveau virus tel que celui de la COVID-19, il y a tant d'incertitude. J'ai de jeunes enfants, et ma femme avait très peur que je sois exposé et que je les contamine, elle et notre premier enfant. Elle a eu notre deuxième enfant en avril. Il y avait une probabilité presque certaine que je sois infecté ou exposé, ce qui m’aurait empêché d’assister à la naissance de notre fille. Cela lui a causé beaucoup de stress, mais heureusement, nous avons pu éviter tout cela.


Avez-vous peur d'infecter votre famille ?

Oui, bien que ma crainte se soit atténuée au cours des deux dernières semaines dans ma région, puisque le nombre de cas actifs est tombé à zéro. Je me change au sous-sol, je mets mes vêtements directement dans la machine à laver et j'ai des chaussures et des vêtements spécifiques pour le travail. Je saute directement dans la douche quand je rentre à la maison. Nous venons d'avoir un nouveau bébé et avec l'incertitude initiale concernant la COVID-19, nous étions très inquiets s’il s’avérait que je suis infecté et que j’infecterais soit ma femme (enceinte), soit notre nouveau-né à sa naissance.


Vie professionnelle :


Vous sentez-vous suffisamment protégé? Y a-t-il suffisamment de soutien psychologique pour les travailleurs de première ligne ?

La médecine familiale communautaire et les soins de longue durée ont d'abord été négligés par les gouvernements provinciaux dans tout le pays. La plupart des médecins de famille communautaire ont été laissés à eux-mêmes et ont dû payer leur équipement de protection individuelle (EPI) de leur propre poche. Il n'y a pas toujours grand-chose de disponible et nous nous efforçons lentement à faire face à la baisse de nos réserves d’équipement. Honnêtement, je ne peux pas dire que je me sens bien soutenu par le gouvernement de ma province, ici en Ontario, mais cela ne me surprend pas vraiment non plus.


Il n'y a pas beaucoup de soutien psychologique spécifique offert. La plupart d'entre nous, dans le domaine de la santé, reçoivent un soutien de nos collègues, mais rien d’officiel. Nous faisons régulièrement des débriefings très informels les uns avec les autres. C'est à peu près tout.


Que faire en cas de manque d'équipement de protection ?

En tant que médecin de famille, c'est une question qui me préoccupe toujours. Nous avons actuellement suffisamment d'EPI pour nous permettre de nous protéger jusqu'en juin et nous essayons activement d'en obtenir davantage, mais il a été très difficile d'obtenir plus d'EPI que ce que nous avons déjà. Ma clinique a passé une commande d'EPI au début du mois de février et elle est arrivée la semaine dernière. Les campagnes communautaires ont vraiment aidé, mais à mon avis, cela n'aurait jamais dû être une nécessité pour protéger nos travailleurs de la santé.


En fin de compte, nous nous occupons de nos patients, quelle que soit la manière dont nous le faisons. Actuellement, cela implique des rendez-vous téléphoniques et des rendez-vous virtuels, mais il y a des patients qui doivent être vus et examinés en personne. Mon bureau dispose d'une quantité très limitée d'EPI et nous utilisons des blouses de patients pour nous protéger. Nous utilisons le même ensemble d'EPI pour toute la journée (un masque chirurgical, un masque facial, une blouse), à l'exception des gants jetables. Avant la COVID-19, il était impossible d'utiliser le même ensemble avec différents patients en raison du risque d'infection des patients suivants. Mais les soins de santé sont désormais considérés comme une ressource et nous ne pouvons pas risquer une exposition inutile. Finalement, si nous ne pouvons pas obtenir les EPI appropriés, que ce soit par nos propres moyens ou par l'intermédiaire du gouvernement, nous devrons fermer le bureau.


Que se passe-t-il avec vos patients habituels ?

Je m'inquiète pour eux. Beaucoup de tests de dépistage sont retardés. Des tests comme le dépistage du cancer du côlon, le dépistage du cancer du sein et le dépistage du cancer du col de l'utérus. En outre, les gens ont tellement peur d'aller aux urgences que les patients se présentent plus tard au cours de l’évolution de leur maladie, ce qui augmente leur risque de mortalité et de morbidité. Je m'inquiète vraiment pour mes patients âgés qui n'avaient pas beaucoup d'interactions sociales avant l'entrée en vigueur des directives d'auto-isolement. Nous les surveillons, mais cela ne remplace pas la visite en personne et la détection d'indices non verbaux.


Je travaille également dans le secteur des soins de longue durée et je n'ai heureusement pas eu de cas à mon lieu de travail. Cependant, cela a coûté cher, car ces maisons sont complètement fermées. Beaucoup de mes patients âgés n'ont pas vu leur conjoint ou leurs enfants depuis deux mois maintenant et je commence à voir des personnes qui souffrent de ce manque d'interaction avec leurs proches.


Les rendez-vous (virtuels !) pour anxiété et stress ont monté en flèche. L'autre jour, plus de 80 % de mes rendez-vous étaient liés à l'anxiété et à l'adaptation liées à la COVID-19.


Pensez-vous que la crise de la COVID19 va apporter des changements dans la façon dont les hôpitaux fonctionnent et réagissent ?

Je pense que la médecine virtuelle et la télémédecine demeureront utilisées dans la pratique communautaire et dans les hôpitaux. Pour être honnête, je ne suis pas sûr que l'hôpital va changer à ce point. Il y aura bien sûr une grande explosion des listes d'attente en raison du report de tant de rendez-vous et de procédures. Il y aura une morbidité associée à cela. Les hôpitaux seront, espérons-le, mieux préparés pour la prochaine pandémie, même si l'on pensait que cela se produirait après le SRAS et pourtant nous avons une grave pénurie d'EPI pour protéger nos travailleurs.


Comment vivez-vous cette expérience jusqu'à présent ?

J'essaie de tirer le meilleur parti de la situation dans la plupart des scénarios. Je fais ce que je peux au travail et j'essaie de ne pas laisser ma vie professionnelle affecter ma vie privée.


Mais c'est très difficile, car j'essaie d'être disponible pour mon personnel et les patients en soins de longue durée autant que possible, même si je ne suis pas techniquement de garde, j'essaie de profiter du temps passé avec mes enfants et d'appeler ou de « zoomer » avec ma famille pour rattraper le temps perdu.


Que diriez-vous à tout le monde ? (à propos de la COVID-19 , sur la façon de prendre soin de soi, etc.)

Soyez gentils !


Comprenez que cette situation est vraiment historique et extraordinaire pour nous tous et que nous la vivons tous de différentes manières. Accordez-vous le bénéfice du doute.


Restez actifs autant que vous le pouvez — ce sera différent pour quelqu'un qui vit dans un immeuble d'habitation par rapport à une maison en banlieue de respecter les directives de distanciation sociale, mais essayez quand même.


Gardez une routine — une certaine structure de notre vie nous aide tous à continuer à regarder vers l'avenir, ce qui est particulièrement important en ce moment.


VERSION ORIGINALE :


Personal Life :


Does your family have any fears about you being on the front lines?

Undoubtedly. In March, when we knew it was coming and yet did not know how bad it would be, there was a lot of uncertainty. The anticipatory anxiety was pretty extreme for all health care workers. That fear has settled a bit now that so many of us are on lockdown, and our risk of exposure is more controlled. With a new virus such as COVID-19, there is so much uncertainty. I have young children and my wife was quite worried that I was going to be exposed and bring it back to her and our first child. She had our second baby in April and there was the definite possibility I would become infected or exposed and not be able to attend the birth of our daughter. That caused her a lot stress, but luckily, we were able to avoid that.


Are you afraid of infecting your family?

Yes, although my fear has lessened in the last two weeks where I live, as our number of active cases has dropped to zero. I am changing in the basement, putting clothing right into the washing machine and having specific shoes and clothing only for work. I jump right into the shower when I get home. We just had a new baby and with the initial uncertainty around COVID-19, we were very worried that if I was to become infected, then I would infect my pregnant wife, or our newborn.


Professional life :


Do you feel protected enough - is there enough support/psychological support for frontline workers?

Community family medicine and long-term care were initially neglected by provincial governments across the country. Most of the family doctors of our have been left to fend for ourselves and to purchase our personal protective equipment (PPE) out of our own pocket. There still isn’t much available and we are slowly working through our dwindling supply. I honestly can’t say I feel well supported by my province government here in Ontario, but it doesn’t really surprise me.

There isn’t a lot of specific psychological support available. Most of us in healthcare get support from our colleagues but nothing structured. We debrief regularly with each other very informally. That’s about it.


What to do if there is a lack of protective equipment?

As a family physician this is something that is always on my mind. We currently have enough PPE to get us into June and are actively trying to get more, but it has been very difficult to get more than what we already have. My office put an order through for PPE in the beginning of February and it was just filled last week. Community drives have really helped, but in my opinion, that should never have been a necessity to protect our healthcare workers.


Ultimately, we care for our patients in whatever way we can. Currently, that involves using phone visits and virtual visits but there are some patients that just have to be seen and examined in person. My office has a very limited supply of PPE and we are using patient gowns to protect ourselves. We use the same set of PPE for the entire day (one surgical mask, one facemask, one gown) except for the disposable gloves. Before Covid-19, it was unheard of to use the same set with different patients due to potential for infecting subsequent patients. But healthcare works are considered a resource now and we cannot risk unnecessary exposure. Eventually, if we cannot get the appropriate PPE, whether out of our own pocket or through the government, we’ll have to shut down the office.


What is going on with your regular patients?

I worry about them. A lot of preventative care medicine is being delayed. Things like colon cancer screening, breast cancer screening and cervical cancer screening. Additionally, people are so scared of going to the Emergency Room that patients are presenting later on in the course of illnesses, which increases their risk of mortality and morbidity. I really worry about my elderly patients who did not have a lot of social interaction before the self-isolation directives came into place. We have been checking on them, but it does not replace the face to face visit and picking up on non-verbal cues.


I also work in long-term care and have luckily not had any cases in there. However, that has come with a significant price as these homes are on complete lockdown. A lot of my elderly patients have not seen their spouses or children in two months now and I am now starting to see people suffering from that lack of interaction with their loved ones.

Appointments (virtually!) for anxiety and stress have skyrocketed. The other day, over 80% of my appointments were for COVID-related anxiety and coping.


Do you think the COVID-19 crisis will bring some changes in the way hospitals works and react?

I think virtual medicine and tele-medicine are here to stay in both community practice and hospital settings. I’m not sure if hospital will change that much to be honest. There will be a big explosion in wait lists, of course, due to so many appointments and procedures being pushed back. There will be associated morbidity with that. Hospitals will be hopefully better prepared for the next pandemic, although it was thought that would happen after SARS and yet we have a dire shortage of PPE to protect our workers.


How do you live this experience so far ?

I try to make the best of the situation in most scenarios. I do what I can at work and try not to let my work life affect my home life. That’s really tough though as I try to be available for my staff and LTC patients as much as I can, even if not technically ‘on-call’ I try to enjoy time with my kids, and call/zoom my family to catch up.


What would you say to everyone ? ( about the COVID-19, about the way to take care of ourselves, etc. )

Be kind!


Be understanding that this is truly a historic, extraordinary situation for us all and we all deal with it in many different ways. Give each other the benefit of the doubt.


Keep active as much as you can - that’s going to be different for someone in an apartment building versus a home in the suburbs to respect social distancing guidelines, but still try.

Keep a routine - some structure to our lives helps us all continue to look towards the future, which is particularly important at this time.


N’oubliez pas de remercier votre médecin de famille la prochaine fois que vous irez le ou la rencontrer !


Image: Stanford Medicine. (2017). Sad Doctor [Image en ligne]. https://scopeblog.stanford.edu/2017/06/27/countering-the-problem-of-physician-burnout/sad-doctor/?fbclid=IwAR2GQJwrlo8yfcEEhM0XR6V0ZTKfYTbZKZigN2KKgAYYAbsfh3ssEL2Metg

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