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La Tête dans les nuages


Repéré sur https://helenvalentina.com/2017/05/23/head-in-the-clouds/

La semaine dernière, dans son article sur l’éco-anxiété, ma collègue Nazdar Roy écrivait les lignes suivantes : « Dans son rapport sur la santé mentale concernant les changements climatiques, l’American Psychological Association mentionne que le fait d'agir atténue l’éco-anxiété , favorise le bien-être et le sentiment de communauté. » J’étais bien contente, d’un côté, parce que cela confirmait les mots d’un confrère professionnel de la santé (« Lorsqu’une émotion vient à toi, toute désagréable soit-elle, ne la rejette pas, ressens-la plutôt ! »), mais aussi parce que par le plus grand des hasards, j’ai la chance d’avoir un certain météorologue d’Environnement et Changement climatique Canada dans mon entourage -- et même plus d’un. C’est donc tout naturellement vers ces spécialistes que je me suis tournée pour avoir certaines réponses à mes questions. Eh oui; même si toutes les nouvelles ne sont pas bonnes, le grand besoin d’être rassuré ne pourra jamais être comblé par des mensonges, mais bien par des occasions d’apprentissage suivies d’actions.


Sachant que la science a déjà servi à appuyer des théories douteuses par le passé, se peut-il que l’engouement pour les changements climatiques & tutti quanti soit quelque peu surfait ?

Gérard Croteau : Non. Il y a près de quatre décennies qu'on a commencé à prévoir les changements climatiques dans les conditions actuelles d'émissions de gaz à effets de serre et depuis quelques années on peut en observer les manifestations. Les calottes glaciaires sont en régression en Arctique, en Antarctique et au Groenland, de même que les glaciers un peu partout dans le monde. Le niveau de la mer a augmenté de 15 cm au cours du dernier siècle, les inondations à Venise et à Miami ont récemment atteint des niveaux jamais vus auparavant. On a observé des vagues de chaleur et des sécheresses inhabituelles en Europe, en Amérique du nord et en Australie, et la température moyenne globale est clairement à la hausse.


Il est vrai que la science a déjà été utilisée pour supporter des visions politiques mais il n'y a absolument aucun avantage politique à court terme à prévoir l'évolution du climat futur. Au contraire, il est très avantageux pour de nombreux gouvernements, industries et organismes financiers de nier ou ignorer ces changements.


Miguel Tremblay : J'ajouterais que le nombre de domaines affectés par les changements climatiques est astronomique. Ça va du scientifique de la forêt boréale de l'UQAC jusqu'au biologiste marin de Finlande. Tous ces scientifiques, qui proviennent de champs d'études assez déconnectés, indiquent que le changement est majeur, affecte un grand nombre d'aspects de notre écosystème planétaire. Nous ne saurions minimiser ces impacts.


Au quotidien, sur quelles observations, sources ou données accessibles au travail vous basez-vous pour confirmer qu’il s’agirait bien d’une crise ou d’une urgence à l’échelle planétaire ?

GC : Tout d'abord, les records de chaleur sont plus fréquents que les records de froid, pratiquement partout sur terre, depuis plus de 20 ans. La température moyenne globale augmente, les glaciers fondent, le niveau de la mer augmente, des espèces animales ou végétales perdent leur habitat ou sont envahies par d'autres espèces venues des zones plus chaudes.


Des états insulaires, comme Nauru ou Samoa dans le Pacifique, ou les Maldives dans l'océan Indien, vont disparaître sous la montée des eaux. Des zones tropicales vont devenir infertiles et inhabitables à cause de la chaleur et de la sécheresse. C'était d'ailleurs déjà presque le cas récemment au Brésil et en Afrique du Sud. Le Bangladesh perdra une partie de son territoire face à la mer. Les ressources en eau douce deviendront un enjeu critique entre des pays d'Asie centrale. Dans tous les cas il y aura éventuellement des réfugiés climatiques. C'est relativement facile à gérer s'il y en a quelques milliers mais quand il y en aura des millions la crise deviendra mondiale par défaut.


Notez, à ce sujet, que même si le président Trump ne croit pas aux changements climatiques, l'armée américaine, dont c'est le rôle d'identifier les risques éventuels à la sécurité nationale, considère ces changements comme l'un des plus grands risques pour les prochaines décennies. Le grand nombre de réfugiés, et de possibles guerres pour l'eau, créeront des tensions menaçantes pour la paix mondiale.

MT : On peut déjà constater l'effet au Québec sur des tendances de quelques décennies. J'avais publié une étude à ce propos qui peut être trouvé ici:


https://web.archive.org/web/20110324170054if_/http://www.p45.ca/magazine/il-fait-de-moins-en-moins-froid-au-quebec-mais-ou-est-brigitte-bardot



Plus précisément, je cherche à savoir quel matériel, voire quels logiciels & quels outils utilisez-vous pour confirmer que les changements climatiques relèvent de la science et non pas de la supercherie?


GC : Tout d'abord, nous connaissons les lois de la physique et de la chimie qui régissent le comportement de l'atmosphère, la condensation et l'évaporation de l'eau, et les échanges radiatifs entre la surface terrestre et l'atmosphère. Il y a énormément de données et de calculs à faire, que seuls les super-ordinateurs peuvent traiter dans un délai raisonnable. En général les machines les plus puissantes, et les simulations avec la meilleure résolution, donnent les meilleurs résultats. Ainsi, nos prévisions s'améliorent au point où les prévisions de 4 jours aujourd'hui sont d'aussi bonne qualité que celles d'un jour il y a 30 ans. Donc la base scientifique est bonne. C'est l'aspect chaotique de la météorologie, combiné au nombre limité d'observations, qui reste un défi.


Les mêmes lois s'appliquent à l'évolution du climat, sauf qu'on ne cherche pas la situation précise à un moment donné mais la situation moyenne sur une saison, ou une année, dans 30, 50 ou 100 ans. Le facteur chaotique quotidien est donc moins critique ici.


On n'a pas une seconde planète Terre pour faire des expériences et comparer. Alors on teste les modèles climatiques avec l'histoire connue. S'ils arrivent à représenter correctement l'histoire du climat terrestre sur 800 000 ans ils devraient donner de bons résultats sur les 100 prochaines années.


Ensuite, on compare les modèles entre eux. Quand 17 modèles différents, développés séparément par 17 équipes dispersées dans le monde, donnent des résultats semblables pour 14 d'entre eux, on peut supposer que ceux-ci sont probablement bons, sauf pour 3 équipes qui vont chercher l'ingrédient manquant.


Enfin, et le plus important, il y a 40 ans qu'on a des modèles climatiques. On peut donc déjà vérifier leurs prévisions sur 4 décennies, et confirmer qu'elles étaient bonnes.


Quant au futur, il dépend fortement des décisions que nous prenons maintenant. Les changements climatiques dépendent du contenu atmosphérique en CO2, et une augmentation ou une diminution des émissions auront un impact important à la longue sur l'accélération du réchauffement, ou une stabilisation. Car on ne prévoit pas un refroidissement avant la fin du siècle, même si on mettait fin dès maintenant à toutes les émissions.


Est-ce que les météorologues comme vous sont les premiers à faire ce qui est en leur pouvoir pour diminuer leur empreinte écologique ou, au contraire, ont-ils une tendance paradoxale à laisser ce travail aux autres malgré leur connaissance de la situation ?


GC : Les météorologues sont un peu plus conscients du problème et soucieux de réduire leur empreinte carbone que la population en général mais ils sont tout aussi diversifiés dans leurs mesures d'adaptation. Il y en a qui possèdent une auto électrique ou hybride, d'autres qui n'ont tout simplement pas d'auto, mais la majorité d'entre eux ont des voitures ordinaires, parfois un peu plus grosses que les plus économiques à cause du mauvais état des routes. Ils participent aussi aux programmes de recyclage et compostage, détestent le gaspillage et souhaitent avoir bientôt accès à des solutions vraiment abordables. Disons que pour l'instant le juste équilibre entre l'idéal et le pratique penche plutôt vers ce dernier.


MT : Je dirais que c'est du monde qui sont en phase avec leur classe sociale. Je ne crois pas percevoir une position avant-gardiste sur ce dossier.


Comment rassurez-vous votre progéniture (ou au sens large, les prochaines générations) lorsque vous les voyez inquiets quant à leur futur, sachant qu’il ne sert à rien de leur mentir ?


GC : Je n'ai encore perçu aucune anxiété à ce sujet dans mon entourage, et le besoin de propager le message reste prioritaire. J'ai tout de même vu dans les médias des réactions anxieuses et excessives. Alors on peut faire une mise au point : ce ne sera pas la fin du monde. Au Québec nous sommes privilégiés. Il faudra nous habituer à des saisons de ski plus courtes, des maladies et des espèces envahissantes venues du sud, comme la maladie de Lyme, une érosion côtière plus intense, des canicules fréquentes, mais on peut s'y adapter. Par contre, ailleurs dans le monde ce sera plus tragique, non pas comme un séisme soudain mais plutôt des conditions de vie qui deviennent intenables à cause des sécheresses, ou encore des terres inondées trop souvent.


MT : Pareil. Mais je me dis que pour mes petits-enfants, ça va être moins drôle.


Dans le même ordre d’idée, quelle serait votre définition réaliste de « l’espoir », dans les circonstances actuelles, et par quels gestes concrets cet espoir peut-il se traduire ?


GC : Pendant plus de 2 décennies les climatologues ont été tout seuls à parler des changements climatiques. Il y a maintenant des initiatives prometteuses provenant de la population en général, comme celles de Greta Thunberg, étudiante suédoise, ou Dominic Champagne, cinéaste québécois, qui suscitent un engouement populaire. Ça ne va pas très vite mais c'est un début plein d'espoir.


D'autre part, les investissements dans les énergies renouvelables augmentent plus rapidement que ceux dans les énergies fossiles, et la Chine est déjà le plus grand producteur d'énergie éolienne au monde. Il y a donc une évolution positive de gros producteurs de gaz à effet de serre.


Petite question bonus provenant d’un de mes collègues chez Neuropresse (merci Xavier Navarri!) : de quoi discutez-vous entre collègues, pendant l’heure du dîner? 😃


GC : Au risque de décevoir, nous discutons de sport, de politique, de météo, de cinéma, et de Donald Trump, en sujets séparés ou regroupés, selon les actualités.


MT : On est en effet du monde normal :-)


Ceci devait signer la fin de l'entrevue, mais quelques jours plus tard, j'ai reçu ce courriel de Gérard.


« Je n'avais pas inclus l'information suivante car ça ne répondait pas directement aux questions. Même si c'est trop tard pour l'article, ça peut servir à compléter le tableau.


Juste avant les Fêtes (NDLR: hiver 2019), sur le Forum d'échanges de l'American Meteorological Society, quelqu'un a écrit qu'il ne croyait pas aux changements climatiques. Voici ma réponse, en français.


Comme météorologiste je ne travaille pas habituellement avec des données climatiques. Je fais confiance aux experts car une partie de leur formation est très semblable à la mienne et je suis sûr qu'ils s'efforcent autant que moi de faire un bon travail. Mais je peux quand même voir les données.


C'est dans les années 1990 que j'ai d'abord appris la fonte de la glace de mer dans l'Arctique, laquelle s'accélère et résultera probablement en une mer libre de glace en été avant l'an 2050. Pour moi c'est un argument majeur. Il faut une énorme quantité d'énergie pour faire fondre des milliards de tonnes de glace, et si la température moyenne de l'air ne baisse pas c'est que la quantité totale d'énergie dans le système Terre-atmosphère est en croissance.


Au cours d'une étude récente sur les prévisions de température record j'ai constaté que les records de chaleur sont observés 2 fois plus souvent que les records de froid sur une période de 10 ans au Canada.


Un collègue qui cherchait les meilleurs prédicteurs, via un système automatisé, pour faire des prévisions statistiques de température a trouvé que l'année était choisie comme prédicteur si on l'offrait au système, ce qui révèle une tendance à la hausse sur les 20 dernières années.


La saison de patinage extérieur sur glace est près d'un mois plus courte qu'à la fin de mes études.


Ici à Montréal la température descendait jusqu'à -30C ou moins une année sur deux, comme si on tirait à pile ou face en octobre et qu'avec pile ce serait le cas mais pas avec face. Sauf que ce n'est pas arrivé depuis 1994. Nous venons donc d'avoir une séquence de 26 faces de suite, et qui continue.


Bref, je ne "crois" pas aux changements climatiques. Je les vois se manifester année après année depuis presque 30 ans. »



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