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Cannabis et troubles de santé mentale


Image repérée à https://greatist.com/health/your-brain-on-marijuana

L’ADOLESCENCE, UNE PÉRIODE DÉTERMINANTE

L’adolescence est une période neurodéveloppementale critique pour le cerveau, caractérisée par un élagage synaptique et une augmentation de myélinisation. Entre autres, le cortex préfrontal, responsable du contrôle des impulsions, de la mémoire de travail, de la planification, de la résolution de problèmes et de la régulation émotionnelle (Luna, Garver, Urban, Lazar et Sweeney, 2004; Spear, 2013) est en pleine maturation à l’adolescence et est donc plus vulnérable. Ainsi, un comportement à risque tel que la consommation de cannabis fréquente et prolongée, débutée à un âge précoce, peut perturber ces fonctions.

En effet, la consommation de cannabis chez les personnes susceptibles de développer un trouble de santé mentale, incluant les adolescents, peut avoir un impact important, entre autres sur les symptômes liés à la schizophrénie, à la dépression et au trouble bipolaire.

LES LIENS ENTRE LE CANNABIS ET CERTAINS TROUBLES DE SANTÉ MENTALE

Le cannabis et la schizophrénie

La schizophrénie est caractérisée par une perte du contact avec la réalité (psychose), des hallucinations, des fausses croyances (délires), des troubles de la pensée et du comportement, une diminution de la motivation et des expressions émotionnelles, des déficits cognitifs et un fonctionnement anormal de la vie quotidienne (Société Canadienne de la schizophrénie, s.d). La cause précise n’est pas connue, mais les études s’entendent pour dire qu’il y aurait une interaction entre une composante génétique et une composante environnementale.


À la lumière de plusieurs études neurobiologiques, on a constaté que le risque de développer la schizophrénie à l’âge adulte augmenterait chez les gens ayant consommé du cannabis à l’adolescence et ayant une vulnérabilité génétique. Entre autres, ceux possédant deux allèles VAL codants pour le gène responsable de la COMT*, étaient plus à risque de développer la schizophrénie s’ils avaient consommé à l’adolescence (Caspi et coll., 2005). Cependant, certaines études ont eu de la difficulté à répliquer ces résultats (Zammit et coll., 2007). D’autres études suggèrent que l'interaction de la consommation du cannabis avec le gène AKT1, associé à la schizophrénie, provoquerait une psychose (Di Forti et coll., 2012).

*COMT (catéchol-O- méthyl-transférase): une enzyme diminuant la disponibilité de la dopamine dans le cerveau (Caspi et coll., 2005)


En ce qui concerne le lien entre la quantité de cannabis consommé et le développement de la schizophrénie, une étude sur 50 465 adolescents suédois suivis pendant 15 ans a permi de révéler que le risque de schizophrénie était six fois plus élevé́ chez les grands consommateurs de cannabis (ayant consommé plus de 50 fois avant d’avoir 18 ans) que chez les non-consommateurs de cannabis, et ce, même en contrôlant certaines variables, telles que la comorbidité avec d’autres troubles psychiatriques et les antécédents sociaux (Andréasson, Engström, Allebeck et Rydberg, 1987). Ces résultats étant appuyés plus tard (Konings, Henquet, Maharajah, Hutchinson et Van Os, 2008), le cannabis serait donc un facteur de risque indépendant pour le développement de la schizophrénie.


Par ailleurs, l’âge du premier usage de la marijuana affecte également le développement de la schizophrénie. En effet, indépendamment de la chronicité de la consommation de la marijuana, une consommation précoce de cette substance est associée à une apparition précoce de psychoses (Barnes et coll., 2006) (Estrada et coll., 2011).


Par contre, même si ces études démontrent l’association entre l’usage du cannabis et la schizophrénie, elles ne démontrent pas une causalité, soit que l’un provoque directement l’autre. La schizophrénie serait le résultat d’un mélange de facteurs, incluant des prédispositions génétiques, des problèmes prénataux, une blessure au cerveau pendant son développement, des événements difficiles à l’enfance et une exposition à des drogues addictives (Evins, Green, Kane et Murray, 2012).

Le cannabis et la dépression


Selon plusieurs études longitudinales, le risque de faire une dépression est plus grand chez les consommateurs de cannabis que chez ceux n’ayant jamais consommé cette drogue, et ce risque augmente quand le cannabis est consommé précocement et fréquemment (Ferguson, Horwood et Swain-Campbell, 2002; Patton et coll., 2002). De plus, selon une méta-analyse basée sur 11 études portant en tout sur 23 317 individus et réalisée par l’Université McGill, les consommateurs de cannabis (consommant au moins 1 fois/semaine) auraient tendance à avoir davantage d’idées suicidaires et commettraient plus de tentatives de suicide (Gobbi, Atkin, Zytynski et coll., 2018).

Au niveau neurobiologique, le lien entre le cannabis et la dépression serait expliqué par l’implication du système endocannabinoïde, un système cérébral jouant un rôle dans la régulation de l’humeur et de l’anxiété et la réponse au stress (Hill et Patel, 2013). Ainsi, une baisse de l’activité endocannabinoïde serait impliquée dans l’anhédonie, l’anxiété, la diminution de la tolérance à la douleur et de l’activité sérotonergique et la douleur chronique, symptômes aussi présents chez les personnes souffrant de dépression. (Ashton et Moore, 2011). De plus, selon des études post mortem, les participants souffrant de dépression majeure présentaient une diminution de la densité du récepteur CB1 (Koethe et coll., 2007), un récepteur cannabinoïde supposé aider le système endocannabinoïde.


Notons cependant que bien que le cannabis soit associé à la dépression, cela ne veut pas dire que le cannabis est ce qui la déclenche. Entre autres, il est difficile de déterminer l’influence du cannabis sur la dépression puisque certains facteurs, telles que la consommation concomitante de drogues, le niveau de scolarité, l’état matrimonial et des caractéristiques géographiques peuvent affecter cette relation. (Green et Ritter, 2000; Rowe, Fleming, Barry, Manwell et Kropp, 1995).

Le cannabis et le trouble bipolaire

Certaines études ont étudié le lien entre l’usage de cannabis et le trouble bipolaire. En effet, la consommation de marijuana est associée à l’apparition précoce de ce trouble, à des épisodes maniaques plus nombreux ou empirés et à un pronostic plus grave. De plus, il y a une relation dose-effet entre la consommation de cannabis et l'âge où apparaît le trouble bipolaire, indépendamment des facteurs tels que le sexe, le sous-type du trouble bipolaire, les antécédents familiaux de trouble de santé mentale grave et d'alcool ou d'autres troubles liés à la toxicomanie (Lagerberg et coll., 2014).


Considérant que le trouble bipolaire est caractérisé par des périodes alternées de profonde tristesse (épisodes de dépression) ou de grande énergie (épisodes de manie), Lagerberg explique son résultat en proposant que les cannabinoïdes, présents dans le cannabis, influencent la transmission du système impliqué dans la régulation des émotions (Witkin et al., 2005, Esteban et Garcia-Sevilla, 2012).


Bien que le nombre d’études sur le cannabis augmente, il reste impossible d’établir un lien de causalité. Est-ce la consommation de cannabis qui provoque le trouble mental ou l’inverse? La réponse n’est pas encore connue, mais il faut tout de même rester prudent quant à la consommation de cannabis, particulièrement lors d’une période importante du développement du cerveau. Il serait également intéressant de miser sur des mesures de prévention, surtout chez les adolescents, afin de retarder l’âge de consommation et d’exposition au cannabis.

Références

Andréasson, S., A. Engström, P. Allebeck et U. Rydberg. « Cannabis and schizophrenia: A longitudinal study of Swedish conscripts », The Lancet, vol. 330, no 8574, 1987, p. 1483-1486.

Ashton, C.H. et P.B. Moore. « Endocannabinoid system dysfunction in mood and related disorders », Acta Psychiatrica Scandinavica, vol. 124, no 4, 2011, p. 250-261.

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Caspi, A., T.E. Moffitt, M. Cannon, J. McClay, R. Murray,
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Di Forti, M., Iyegbe, C., Sallis, H., Kolliakou, A., Falcone, M. A., Paparelli, A., ... et Handley, R. (2012). Confirmation that the AKT1 (rs2494732) genotype influences the risk of psychosis in cannabis users. Biological psychiatry, 72(10), 811-816.).

Esteban, S., et Garcia-Sevilla, J. A. (2012). Effects induced by cannabinoids on monoaminergic systems in the brain and their implications for psychiatric disorders. Progress in Neuro-Psychopharmacology and Biological Psychiatry, 38(1), 78-87.

Estrada, G., Fatjó‐Vilas, M., Munoz, M. J., Pulido, G., Minano, M. J., Toledo, E., ... et Campanera, S. (2011). Cannabis use and age at onset of psychosis: further evidence of interaction with COMT Val158Met polymorphism. Acta Psychiatrica Scandinavica, 123(6), 485-492.

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