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Éco-anxiété : Quand le sort de la planète influence celui des esprits



Il est difficile de ne pas être au courant des changements climatiques qui sévissent depuis quelques années. Leur impact s’étend à l’échelle mondiale, tout comme le mouvement social qui en découle. L’urgence climatique est aussi sujette à une médiatisation désormais omniprésente. Le début de l’année a d’ailleurs été marqué par la couverture des feux de forêts en Australie, qui ont causé la destruction d’écosystèmes et d’importantes pertes dans certaines espèces.


Même s’il y a encore des sceptiques, c’est maintenant 83% de la population canadienne qui reconnaît que la planète se réchauffe, et 60% de cette même population qui attribue une partie ou la majorité de cette urgence climatique à l’activité humaine (1). Pour certains individus, cette prise de conscience va jusqu’à s’accompagner d’une inquiétude par rapport au sort de la planète bleue, qui peut même atteindre un seuil clinique : l’éco-anxiété. C’est entre autres ce sentiment d’urgence qui a encouragé plusieurs à s’emparer des rues de Montréal lors de la grève mondiale pour le climat du 27 septembre 2019. Alors qu’environ un demi-million de citoyens s’unissent pour la planète, et ce, à Montréal seulement, il s’agit là d’une démonstration de taille de leur préoccupation. En ce premier anniversaire de la marche, nous explorons le concept d’éco-anxiété.

Une inquiétude face au futur

De façon générale, les conséquences physiques des changements climatiques sont priorisées au détriment des répercussions psychologiques, comme c’est généralement le cas lorsqu’il est question de santé mentale. Il est reconnu, entre autres, que des problèmes respiratoires peuvent découler de changements de la qualité de l’air, et qu’une hausse des problèmes cardiaques est associée au réchauffement climatique (2). L’insécurité alimentaire est, quant à elle, synonyme de malnutrition (2), et le réchauffement des océans accroît la vitesse de propagation de certaines maladies (3), puisque certains pathogènes sont sensibles à la température (4). Tous ces effets physiques sont très bien documentés.


Conséquences des changements climatiques. Traduction libre.



Toutefois, les conséquences peuvent s’étendre plus loin, et avoir des répercussions psychologiques qui sont maintenues au second plan lorsqu’il est question des changements climatiques. Une de ces conséquences est l’éco-anxiété. Également connu sous le nom de solastalgie (5), l’éco-anxiété est une forme spécifique d’anxiété caractérisée par un sentiment de détresse associé à la connaissance des changements climatiques. D’un point de vue clinique, le phénomène n’est pas présent dans le DSM-5, la cinquième édition du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l’Association Américaine de Psychiatrie (AAP). Il s’apparente toutefois aux troubles anxieux qui y figurent, d’où son nom.

Bien que le stress soit essentiel à tous et chacun, il devient problématique lorsqu’il affecte significativement diverses facettes de la vie d’une personne et interfère avec son quotidien. C’est à ce moment que le seuil clinique est franchi et que l’on fait état de troubles anxieux. Ces troubles diffèrent les uns des autres de par les types d’objets et de situations qui provoquent de la peur ou de l’anxiété (8). Par exemple, les phobies sont caractérisées par une peur démesurée face à un objet ou une situation spécifique, alors que le trouble d’anxiété sociale est particulier aux situations sociales (8). Dans le cas de l’éco-anxiété, les éco-anxieux peuvent ressentir de la détresse cliniquement significative par rapport à l’environnement qui se dégrade, et un sentiment généralisé d’impuissance face à l’ampleur du phénomène (6). Ces états ont souvent une incidence sur leur quotidien. La panique est d’autant plus grande en raison de l’exposition répétée à l’urgence climatique qui est mise de l’avant par les médias. Les plus jeunes sont d’autant plus affectés étant donné qu’ils s’inquiètent pour leur futur, et celui qu’ils laisseront pour leurs enfants.


Bien que cette vague de dépression verte n’ait pas de diagnostic reconnu pour l’instant, et qu’elle ne soit pas présente dans le DSM-5, son existence est tout de même reconnue par les psychologues et les psychiatres, notamment ceux et celles qui interviennent auprès des mineurs. Ces professionnels peuvent outiller ceux qui en présentent des symptômes.

Les victimes directes des changements

Les conséquences des changements climatiques sur la santé mentale ne s’arrêtent pas là. En 2004, les habitants du petit village de Lataw sur l’île de Vanuatu ont eu à se relocaliser parce que cette île qui les abritait était aux prises de la montée des eaux. Ils ont été reconnus comme étant les premiers réfugiés climatiques par les Nations Unies. Leur situation n’est qu’une parmi tant d’autres qui font constater qu’en plus de faire planer un sentiment d’inconfort et d’incertitude chez certains, les changements climatiques affectent aussi directement d’autres individus qui subissent les conséquences des catastrophes naturelles. Encore une fois, les conséquences physiques sont bien connues et ne sont pas négligeables, comme la perte de biens et d’habitations ainsi que des blessures. L’impact sur la santé mentale représente aussi un enjeu de taille. On pense entre autres à la possibilité d’un état de stress post-traumatique à la suite d’une catastrophe climatique, au deuil causé par la perte de proches, ou à une hausse des cas d’anxiété et de dépression (6).

Une lutte qui ne fait que commencer

Bien que l’éco-anxiété s’ajoute au portrait plutôt sombre de la condition de la planète, il est possible d’y pallier. Dans son rapport sur la santé mentale en lien avec les changements climatiques, l’American Psychological Association mentionne que prendre action atténue l’éco-anxiété, favorise le bien-être et le sentiment de communauté. D’ailleurs, les personnes affectées par l’éco-anxiété ont tendance à adopter une attitude et à prôner des valeurs pro-environnementales (7). Elles sont aussi plus enclines à prendre action par des initiatives individuelles ou collectives (7). Que ce soit par l’adoption d’un régime alimentaire végétalien ou d’un mode de vie zéro déchets, plusieurs transforment leurs inquiétudes en gestes concrets au quotidien. Les initiatives collectives sont aussi très nombreuses, qu’on pense aux regroupements qui ont pour cause l’avenir de la planète ou aux entreprises qui tournent au vert. La prise d’action est une initiative des individus et non une méthode de traitement reconnue. C’est entre autres pourquoi l’éco-anxiété n'est pas un phénomène à négliger lorsqu’il est question du débat sur les changements climatiques.


 

Références

1. Mildenberger M, Howe P, Lachapelle E, Stokes L, Marlon J, Gravelle T. The Distribution of Climate Change Public Opinion in Canada. PLoS One. 2016;11(8):e0159774. Epub 2016/08/04.

2. Howard C, Huston P. The health effects of climate change: Know the risks and become part of the solutions. Can Commun Dis Rep. 2019;45(5):114-8. Epub 2019/07/10.

3. Doney S, Bopp L, Long M. Historical and Future Trends in Ocean Climate and Biogeochemistry. Oceanography. 2014;27(1):108-19.

4. Harvell CD, Mitchell CE, Ward JR, Altizer S, Dobson AP, Ostfeld RS, et al. Climate warming and disease risks for terrestrial and marine biota. Science. 2002;296(5576):2158-62. Epub 2002/06/22.

5. Galway LP, Beery T, Jones-Casey K, Tasala K. Mapping the Solastalgia Literature: A Scoping Review Study. Int J Environ Res Public Health. 2019;16(15). Epub 2019/07/28.

6. Usher K, Durkin J, Bhullar N. Eco-anxiety: How thinking about climate change-related environmental decline is affecting our mental health. Int J Ment Health Nurs. 2019;28(6):1233-4. Epub 2019/11/15.

7. Verplanken B, Roy D. "My worries are rational, climate change is not": habitual ecological worrying is an adaptive response. PLoS One. 2013;8(9):e74708. Epub 2013/09/12.

8. American Psychiatric Association. (2013). Anxiety Disorders. In Diagnostic and statistical manual of mental disorders (5th ed.). https://doi.org/10.1176/appi.books.9780890425596.dsm05


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