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Ma vie en deux temps


Avant la veille de mes dix-huit ans, je n'avais jamais mis deux et deux ensemble. Tous les éléments étant sur place, cependant: toute préoccupation, qui, chez mes pairs, se taisait suite à un moment de réflexion, prenait chez moi des dimensions disproportionnées.


Plus j’y pensais, plus les scénarios s’accumulaient en crescendo, et je commençais à ne plus voir même l’origine du problème. Une inquiétude suivait l’autre, tombait comme un jeu de Tetris qui ressemblait à un fromage suisse.


Lorsque j’en parlais avec mes parents, ma mère me disait que j’étais trop sensible, et que la seule solution était de moins s’en faire pour les choses. “Dis-toi toujours: c’est pas comme si j’allais mourir.”


Elle ne savait pas que mes petites peurs devenaient rapidement des montagnes insurmontables, et que je me sentais comme pris au milieu d’une couronne de ces mêmes montagnes, et qu’avec assez de temps tout semblait se précipiter sur moi.


Mon père, lui, je me doute qu’il ressent la même chose. Il me donnait des conseils plus pratiques: lorsque tu sens que tout devient trop, extériorise. Parles-en, écris, fais quelque chose pour te sortir ça du coeur. Il m’a aussi conseillé de ne jamais dormir avec les mains sur le coeur, parce que c’est ça qui cause les cauchemars — mais ça, je pense que c’est juste de la superstition.


On n’y a jamais donné de nom, à cette condition, dans la famille. En fait, dans la culture latino, il est tabou — surtout pour un homme — de parler de ses faiblesses, encore moins de celles qui vivent dans nos têtes.


Ce n’est qu’en fin de cégep, lorsque j’étais à bout de refouler toutes mes inquiétudes accumulées pendant des années, tous ces épisodes où j’avais été simplement incapable de me pointer à l’école pour un oral, ou bien de confronter un ami par peur de le perdre, ou bien de parler fort par peur du jugement des autres: c’est alors que je suis allé voir un médecin pour la première fois pour me plaindre d’une douleur qui était sur le point de me pousser en bas du précipice. J’ai été dirigé vers un psychiatre, que je visite de façon intermittente depuis bientôt quatre ans.


J’apprends encore à dealer avec mon anxiété. J’ai de la difficulté à gérer plusieurs dossiers à la fois, alors je me limite dans ce que je fais: c’est difficile pour moi de m’ouvrir au-delà de mon groupe d’amis, c’est difficile de m’impliquer socialement parce que tout ça me rend une cible plus facile pour le jugement d’autrui. J’avoue que j’utilise l’alcool comme une béquille sociale, et le pot pour me faire oublier de penser. Lorsque les choses deviennent too much, je disparais du radar et je me drogue jusqu’à ce que la panique passe.


Les gens comprennent beaucoup plus que l’on pense. Ma copine me tient dans ses bras quand je ne suis simplement pas capable ; mes parents sont là pour ramasser les morceaux lorsque j’explose ; mes amis réussissent souvent à calmer le hamster qui roule trop vite dans ma tête. Ça se gère, tant bien que mal.

 

Le trouble bipolaire

Communément connu sous le terme de « psychoses maniacodépressives », le trouble bipolaire est une pathologie caractérisée par une fluctuation importante de l’humeur. Comparativement à d’autres troubles, les personnes dans la vingtaine sont les plus à risque d’être touchées, et ce, tout sexe confondu.


Comportant divers types, soient la bipolarité de type I (des épisodes maniaques jumelés avec des symptômes maniaques ou dépressifs), la bipolarité de type II (des épisodes dépressifs composés de fluctuations du comportement et de l’humeur, soit l’hypomanie) ainsi que le trouble cyclothymique (présence de symptômes dépressifs et des fluctuations de l’humeur et du comportement sans qu’il n’y ait de phase maniaque ou de dépressive précise), le trouble bipolaire tend à différer en termes de degrés et d’intensités dépendamment de la période ou du cas.


À l’opposé de la phase dépressive, la phase maniaque se traduit par une hausse des activités tant comportementales, cognitives que physiques tandis que la phase dépressive les réduit. Que ce soit au niveau de la sphère personnelle, familiale, professionnelle, monétaire ou légale, les fluctuations d’humeur peuvent rendre difficile le quotidien des personnes touchées, étant donné qu’elles ne prennent pas conscience de l’ampleur de leurs agissements. C’est pour cette raison que le trouble bipolaire est à prendre au sérieux sachant qu’il affecte l’ensemble des sphères de la vie d’une personne et les risques d’en souffrir sont grands et nombreux.

Symptômes

Causes

Les données actuelles n’arrivent pas à s’entendre sur la cause exacte de cette maladie, puisqu’il y a beaucoup de facteurs en jeu. À l’opposé des autres troubles, le facteur génétique prime dans le diagnostic, et ce, en mettant davantage en péril ceux ayant un membre de leur famille atteint par le trouble. Il est donc primordial que les professionnels enquêtent d’abord sur l’incidence de cette maladie dans les antécédents de la personne avant même de poser un diagnostic qui pourrait avoir des répercussions irréversibles s’il est mal posé.


En plus des gènes, les hormones semblent jouer un rôle important, notamment au tout début des phases dépressives et maniaques suite à une altération anormale du système immunitaire comparativement à la tendance générale. Finalement, les facteurs environnementaux sont très impliqués dans le trouble bipolaire, surtout dans les cas où le diagnostic s’est fait très tôt. Ces facteurs touchent plus rapidement les personnes vivant beaucoup de stress, des pertes ou ceux ayant un passé lourd émotionnellement (traumatismes, abus, etc). Il est important de mettre l’emphase sur les risques en lien avec le stress compte tenu de l’état de santé actuel de la population. Pour ce faire, il faut demeurer vigilant!


En effet, le trouble bipolaire est très comorbide avec d’autres troubles tels que les troubles paniques, les troubles obsessionnels compulsifs, les troubles alimentaires et les troubles de personnalité. Toutefois, ils ne sont pas les seuls sachant qu’il est possible de retrouver chez les personnes bipolaires des comportements excessifs avec les boissons alcoolisées ou des substances illicites ou bien des difficultés en lien avec leur poids (surpoids, obésité) ou leur santé (diabète, maladies cardiovasculaires).


En dépit de la médication, la littérature suggère de combiner une approche pharmacologique à une approche thérapeutique. Visant à donner la possibilité aux personnes de s’approprier des techniques pour mieux contrôler la survenue d’épisodes maniaques ou dépressifs tout en les aidant à mieux s’intégrer dans la société, les thérapies psychologiques ont pour objectif de les accompagner dans leur cheminement vers la guérison.


Que ça soit en leur offrant un réseau de soutien pour se confier, de fournir des informations sur le trouble lors des séances ou bien de les encourager à maintenir un mode de vie sain tant par le biais de leur hygiène alimentaire, de leur sommeil ou de leurs activités physiques, les thérapies visent à prévenir des rechutes futures ou une sévérité des symptômes. Malgré que les professionnels privilégient l’approche cognitivo-comportemental, la nature de la thérapie peut tout de même changer dépendamment du diagnostic.


En somme, le trouble bipolaire peut être contrôlé et stabilisé si des traitements psychologiques sont jumelés à des traitements pharmacologiques adaptés aux besoins de la personne. La clé est d’être soutenu tant par l’entourage immédiat que par une équipe médicale afin de pouvoir échanger sur les ressentis et les difficultés que suscite le processus vers la guérison. Cela ne diminue dans aucun cas l’importance de maintenir un mode de vie sain afin de contrôler ou d’éviter la survenue future de ce trouble.


 

Statistiques

  • Plus de 90% des gens ayant vécu un épisode maniaque vont en revivre un.

  • Dans le monde, le taux de prévalence à vie du trouble bipolaire est de 0.2 à 1.7%, alors qu’au Canada, il est de 2.4%.

  • Le trouble bipolaire est aussi fréquent chez les hommes que chez les femmes.

  • L’hérédité aurait un rôle important à jouer dans ce trouble: en effet, 80% à 90% des bipolaires ont un proche qui l’est aussi.

 

Les avancées scientifiques

La dépression unipolaire est reconnue comme un des troubles psychiatriques les plus dévastateurs, causant des périodes prolongées d’humeur terrible chez les patients affectés. Son cousin, le trouble bipolaire, est également très pernicieux.


Le trouble bipolaire est souvent confondu avec la dépression unipolaire, principalement parce que les symptômes observés lors de la phase dépressive sont similaires. Toutefois, cette maladie comporte aussi une phase maniaque, caractérisée par une humeur euphorique et une hyperactivité.

Figure 1. Représentation des phases d’humeur éprouvées par les patients bipolaires. Selon les critères du DSM-5, le patient a) est atteint d’un trouble bipolaire de type I, tandis que le patient b) a un trouble bipolaire de type II. [1]

Comme son nom l’indique, le trouble bipolaire est caractérisé par une polarisation de la perception du bonheur chez les patients atteints. Puisque la dopamine est associée au bonheur dans les modèles neuroscientifiques traditionnels, il est naturel de penser que des altérations fonctionnelles de ce neurotransmetteur pourraient être impliquées dans la pathologie du trouble bipolaire. Cette hypothèse a été testée par plusieurs équipes de chercheurs, dont je vais présenter les résultats principaux.


Essentiellement, ces chercheurs ont conclu que les phases maniaques du trouble bipolaire sont associées à un excès de transmission dopaminergique dans le cerveau. La stabilisation des niveaux de dopamine, ou de n’importe quel autre neurotransmetteur, requiert un mécanisme crucial : la recapture. Lorsque le signal dopaminergique est transmis d’un neurone à un autre, des molécules spécialisées ont pour fonction de transporter la dopamine en-dehors de la région synaptique. Si ce mécanisme n’est pas fonctionnel, les signaux transmis auront une amplitude anormalement élevée.


C’est exactement ce qui se produit chez les patients bipolaires, lors de la phase maniaque. Des souris transgéniques ayant une absence de fonction sur un gène responsable de la recapture de la dopamine ont été étudiées. Les scientifiques ont observé une hyperlocomotion chez ces souris, similaire à l’hyperactivité des humains. Ils ont ainsi conclu que l’augmentation des niveaux de dopamine est suffisante et nécessaire pour induire des symptômes maniaques. [2]


Comme si ce n’était pas assez, la disponibilité des récepteurs dopaminergiques est augmentée, ce qui accentue ce déséquilibre neurologique. Plus précisément, des études d’imagerie ont démontré que la densité des récepteurs D2/3 est anormalement élevée pour la psychose maniaco-dépressive. [2] Toutefois, la présence d’une anomalie similaire pour le trouble bipolaire demeure controversée.


Les anomalies de la transmission dopaminergique sont une avenue de recherche intéressante, mais peu informative sur le plan cognitif. D’autres expériences basées sur l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ont déterminé que le circuit de la récompense est anormal. Lors de la phase maniaque, le striatum ventral et l’aire ventrale tegmentale sont peu actives lors de l’anticipation d’une récompense. [2] Il devient alors pratiquement impossible pour ces patients d’avoir des erreurs de prédiction négative entre la récompense attendue et la récompense obtenue. Cela entraîne un cercle vicieux lors de la phase maniaque : peu importe ce que les patients entreprennent, ils ne sont jamais déçus.


Pour ce qui est de la phase dépressive, on pourrait s’attendre à observer l’effet inverse, c’est-à-dire une hyperactivation lors de l’anticipation d’une récompense et une surabondance des erreurs de prédiction négative. Toutefois, différentes études à ce sujet sont arrivées à des résultats contradictoires. Tandis que certaines prétendent que le striatum ventral et le cortex préfrontal sont hyperactifs lors des prédictions de récompense, d’autres soutiennent que l’activation de ces régions lors de la phase dépressive est similaire à celle du groupe contrôle [2]. Les modèles cognitifs reliés à la pathologie du trouble bipolaire demeurent incomplets, et de nombreuses années de persévération scientifique sont à prévoir afin de les élucider.


À suivre…

Bibliographie

[1] Vieta, E. et al. Bipolar disorders. Nat. Rev. Dis. Primers 4, 18008 (2018)

[2] Ashok, A. H. et al. The dopamine hypothesis of bipolar affective disorder: the state of the art and implications for treatment. Molecular Psychiatry 22, 666-679 (2017)

Ashok, A. H., Marques, T. R., Jauhar, S., Nour, M. M., Goodwin, G. M., Young, A. H., & Howes, O. D. (2017). The dopamine hypothesis of bipolar affective disorder: the state of the art and implications for treatment. Molecular Psychiatry, 22(5), 666‑679. https://doi.org/10.1038/mp.2017.16

Bexton, R., (s.d), Le trouble bipolaire, Repéré à URL : https://medfam.umontreal.ca/wp-content/uploads/sites/16/Le-trouble-bipolaire-Revivre.pdf

Davison, G.C., Blankstein, K.R, Flett, G.L, Neale, J.M, Abnormal psychology (5e édition), Cananda, Wiley.

Statistiques Canada. (2016). Section A- Troubles de l’humeur. Repéré à : http://www.statcan.gc.ca/pub/82-619-m/2012004/sections/sectiona-fra.htm#a3

Gouvernement du Canada. (2002). ARCHIVÉ : Chapitre 2 : Rapport sur les maladies mentales au Canada – Troubles de l'humeur. Repéré à : https://www.canada.ca/fr/sante-publique/services/rapports-publications/rapport-maladies-mentales-canada/troubles-humeur.html

Institut de la Statistique du Québec. (2012). Portrait statistique de la santé mentale des Québécois. Repéré à : http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/sante/etat-sante/mentale/portrait-sante-mentale.pdf

Les Troubles Bipolaires, La nature des troubles bipolaires, Repéré à URL : https://www.troubles-bipolaires.com/maladie-bipolaire/nature-des-troubles-bipolaires/

Les Troubles Bipolaires, La comorbidité des troubles bipolaires, Repéré à URL : https://www.troubles-bipolaires.com/maladie-bipolaire/comorbidites-maladies-associees/#JswOsRGQB73svjAT.99

Pfizer, (s.d) Le trouble bipolaire, Repéré à URL : www.pfizer.ca/sites/g/files/g10017036/f/201410/Bipolar_0.pdf

Institut universitaire de santé Mentale Douglas., (2015), Les troubles bipolaires : causes, symptômes et traitements, Repéré à URL : www.douglas.qc.ca/info/troubles-bipolaires

Vieta, E., Berk, M., Schulze, T. G., Carvalho, A. F., Suppes, T., Calabrese, J. R., … Grande, I. (2018). Bipolar disorders. Nature Reviews Disease Primers, 4, 18008. https://doi.org/10.1038/nrdp.2018.8

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