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Légal = banal ?


Exemple de publicité quelque peu « expérimentale » lancée par le Ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec. Visible ces jours-ci dans les services de transport à Montréal.

Pour ma toute première entrevue menée à l’intention de Neuropresse, j’ai eu la chance de m’entretenir avec un jeune étudiant bien de son temps : Xavier Navarri. Entre ses heures de bénévolat [1], sa maîtrise en sciences biomédicales, option sciences psychiatriques, à l’Université de Montréal, ses activités de recherche et le reste, c’est avec générosité qu’il a pu trouver quelques minutes pour répondre à mes questions pas toujours faciles dont le sujet était nul autre que… le cannabis. ​ Voici donc les principaux extraits de notre conversation.

AC : Pour casser la glace, j’aimerais faire un petit retour sur une étude à laquelle tu as participé durant l’été 2018 et qui mettait en relief certaines différences entre le cannabis et l’alcool. [2] Quel était le lien entre les deux en fait ?

XN : Le cannabis et l’alcool font tous les deux parties des drogues les plus consommées à travers le monde. L’alcool est la drogue la plus consommée dans le monde parce qu’elle est légale dans la plupart des pays. Le cannabis est la drogue, généralement illicite, qui est également la plus consommée à l’échelle de la planète.​ Les effets de ces drogues-là sont en grande partie méconnus, et elles ont fait l’objet d’études dont les résultats ont beaucoup porté à controverse. Les gens s’entendent davantage sur les effets néfastes de l’alcool, mais en ce qui concerne le cannabis c’est beaucoup plus vague. Il y a quelque chose d’assez étonnant dans la littérature sur les impacts du cannabis, c’est que les chercheurs perdent un peu de leur objectivité par moments et prennent des positions qui sont plus subjectives.

AC : Intéressant, ça. Quelle était l’ambiance dans tes classes, tes labos ?

XN : J’avais un prof différent concernant le cannabis. Ce prof-là a une opinion très objective, je considère, du cannabis. C’est quelque chose qui m’a vraiment étonné. C’est lui qui disait que les chercheurs dans son domaine pouvaient être assez subjectifs dans leur manière d’interpréter des résultats d’études. Dans son cas, je pense qu’il considère que la légalisation a eu certains effets sur la consommation.

AC : Une hausse ?

XN : Une hausse mondiale, peut-être pas ; ça on ne pourrait pas dire. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a eu une hausse de la consommation de cannabis au Québec au cours des 10 dernières années. On a constaté, pas forcément à cause de la légalisation, qu’il y a eu depuis les années 2000 une augmentation de la consommation de cannabis dans l’ensemble de l’Amérique du Nord. Pas juste au Québec, mais aussi aux États-Unis. C’est une hausse qui est observée dans toutes les tranches d’âges, mais davantage dans celle des jeunes de 15 à 24 ans.

AC : Hum. Cela soulève des questionnements, notamment au niveau de la performance scolaire de ces jeunes.

XN : Exactement. Une étude a associé la consommation de cannabis à une baisse de la performance scolaire chez des adolescents, mais je pense qu’il y a plusieurs autre facteurs, entre la consommation et les effets observés, qui entrent en jeu, et qui rendent la chose beaucoup plus complexe. Il y a plus à considérer que le simple fait que le cannabis affecte le cerveau directement. Il y a une multitude de facteurs à prendre en considération dans l’usage du cannabis et sur ses conséquences. Il peut y avoir le sexe, le statut socioéconomique, la situation familiale, et j’en passe.

AC : Et au niveau génétique ?

XN : Oui ; certains gènes présentent des variantes qui ont été associées récemment à une consommation abusive d’alcool. D’ailleurs, il a été démontré qu’une certaine forme de gènes peut prédisposer les consommateurs de cannabis à développer des psychoses.

AC : Tu viens de mentionner la psychose ; est-ce que tu peux nous rappeler brièvement quels sont les effets positifs et négatifs du cannabis, et ce qui fait qu’il est tant en demande ?

XN : Je pense que c’est quand même important de savoir que les effets positifs et négatifs sont généralement associés à des cannabinoïdes qu’on trouve dans le cannabis. Le cannabis est une plante assez complexe où l’on distingue différentes molécules. À l’intérieur, on trouve ce qu’on appelle des cannabinoïdes, des molécules qui peuvent altérer le fonctionnement du cerveau. Parmi les cannabinoïdes, il y a le cannabidiol qui, selon le contexte, est perçu assez favorablement depuis un test effectué en laboratoire. Le test a consisté à injecter le cannabidiol à un rat en période de sevrage d’héroïne, et cela pour voir si la présence de cette molécule dans le cerveau de l’animal allait diminuer, suite à l’injection, les comportements liés au besoin pressant de consommer. La réponse a été positive, et elle suggère que le cannabidiol peut diminuer les symptômes de sevrage chez le rat. Par contre, il y a le THC [3] qui est l’un des principaux cannabinoïdes associés aux psychoses. Il faut savoir que cette molécule peut aussi soulager les gens souffrant de douleur chronique. Par conséquent, on comprendra qu’au Québec, le recours aux composés contenant du THC soit considéré dans le traitement de la douleur. Mais il y a un problème qu’on a constaté au fil des années, et ce problème est en lien avec la quantité de THC contenu dans le cannabis consommé dans la population. On a observé que le taux de THC était beaucoup plus faible il y a 20 ans qu’aujourd’hui. Il y a 20 ans, par exemple, on pouvait déceler dans le cannabis un taux de deux à trois pour cent de THC, voire même rien. Maintenant, on peut trouver des taux de 10 %, de 15 %, voire même de 20 % de THC.

AC : On comprend qu’il y a la consommation de cannabis à des fins médicales et la consommation à des fins récréatives. Est-ce que tu as l’impression que l’usage récréatif, qui est devenu légal en 2018, est encore associé à une certaine oisiveté plus ou moins désirable en société, ou est-ce que c’est « légal donc banal » ?

XN : Si c’est devenu banal ? Non. Si c’est pleinement accepté dans la société ? Non plus, la preuve étant qu’il y a encore beaucoup, comment dire, de controverse à propos des lieux où l’on peut consommer du cannabis en public. De plus, beaucoup de propriétaires se posent la question, à savoir « est-ce que j’accepte que mes locataires consomment du cannabis dans mes appartements ? » Donc, est-ce que c’est pleinement accepté ? Pas encore.

AC : Est-ce que ça le sera un jour ?

XN : Si ça le sera un jour ? Je pense que ça dépendra vraiment de la perception qu’aura la population québécoise des drogues en général, car on peut très bien se faire la réflexion suivante. On a accepté le cannabis avec beaucoup, comment dire, d’appréhension ; beaucoup de gens étaient pour, mais beaucoup de gens aussi étaient contre. Des questions se posent alors à propos de toutes les drogues. Par exemple, l’alcool est l’une des drogues ayant le plus d’effets néfastes sur la santé, et c’est pourtant parfaitement légal, notamment accepté pour des considérations surtout économiques. C’est une importante source de revenus pour l’État. Ce sera la même chose pour le cannabis, une fois que la pénurie sera chose du passé. On pourrait alors se poser aussi cette question : pourquoi n’accepte-t-on pas toutes les drogues ? On sait bien pourtant que certaines drogues sont beaucoup plus « diabolisées », comme le LSD et les hallucinogènes.

AC : C’est un peu une sorte de boîte de Pandore finalement.


XN : C’est ça. Une fois qu’on l’a ouverte, il devient très difficile de la refermer, parce qu’on ouvre la porte à beaucoup de choses en fin de compte. Je pense qu’il faudrait laisser davantage de temps aux chercheurs pour qu’ils puissent déterminer quelles drogues sont sécuritaires, et quelles sont les mesures à prendre pour protéger la population.

AC : Parce qu’il n’y a pas juste la psychose comme conséquence, il y a aussi la lenteur des réflexes et d’autres signes facilement reconnaissables chez quelqu’un qui consomme régulièrement...

XN : Les chercheurs ne s’entendent vraiment pas sur l’impact du cannabis à long terme. En revanche, il y a des signes cliniques qu’on peut observer chez la personne qui fume un joint, comme l’euphorie, des yeux rouges et une envie de manger davantage. En ce qui a trait à la consommation chronique, les résultats des études sont très difficiles à interpréter parce qu’il y a beaucoup de variables et d’éléments inconstants qu’on a du mal à expliquer. Il est vrai que des études ont révélé une hausse du temps de réaction dans la prise de décisions, ainsi qu’une une baisse de l’attention. Mais ce sont des effets à court terme. Pour ce qui est de la consommation à long terme, davantage d’études sont nécessaires, selon moi, pour déterminer si certains effets perdurent dans le temps, au point de devenir irréversibles ou non.

***Les dernières minutes de l’entrevue ont filé beaucoup trop vite. La passion et surtout l’engagement du jeune étudiant sont palpables. À savoir s’il existe de l’aide pour les individus qui aimeraient se sortir d’une certaine dépendance, Xavier m’assure que oui, et que la demande est même assez forte en ce sens. Existe-t-il un traitement, cependant ? Non, pas encore de traitement approuvé officiellement, pas même la TMS, la thérapie par stimulation magnétique transcrânienne, dont Xavier expliquait les effets et les aspects prometteurs le mois dernier dans Neuropresse. En revanche, certaines molécules, appelées « agonistes », permettraient potentiellement de réduire les symptômes de sevrage tels que l’irritabilité, l’insomnie, la difficulté de se concentrer, la perte d’appétit, etc. La reconnaissance de ces symptômes de sevrage aurait fait récemment consensus pour la toute première fois chez les chercheurs. Ces derniers ne s’entendaient pas depuis très longtemps au sujet de leur existence, en témoigne la version la plus récente du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux de l'Association Américaine de Psychiatrie, le DSM-5 [4].

A.C. : Comme mot de la fin, un souhait Xavier ?

X.N. : Je n’aurais pas tendance à « diaboliser » le cannabis. Je pense qu’on est rendu à un point où on ne peut plus faire marche arrière et que, par conséquent, il faut aller de l’avant. La question est maintenant de savoir comment. En étant bien préparé. Et je crois personnellement que c’est grâce à la diffusion de l’information et à la prévention en milieu scolaire, et même en milieu de travail, que nous pourrons éviter les abus et la stigmatisation. En fin de compte, je pense qu’il y a encore beaucoup de travail à faire pour transmettre, à une population qui en a grandement besoin, toutes les connaissances disponibles grâce à la recherche.


Sur ces mots, j’ai pour ma part une petite pensée pour le corps professoral, les mentors, les enseignants à tous les niveaux, bref, pour tous ceux et celles qui auront la lourde tâche d’encadrer notre jeunesse pour lui permettre de faire les meilleurs choix possibles dans le futur. Peut-être qu’un jour, Xavier en fera partie, c’est à lui de décider de son avenir. Une dernière pensée me vient à l’esprit : peut-être qu’il ne ferait pas de tort de multiplier les tentatives pour remédier aux « fake news », ces fausses nouvelles si répandues dans notre société. Sur ce, je vous quitte avec un sentiment de mission accomplie. Au plaisir. ***

[1] Non, ce n’est pas un hasard : Xavier contribuera aussi une fois par mois à Neuropresse avec des articles scientifiques dont le premier se trouve ici : https://www.neuropresse.com/blank-1/2019/02/24/Traiter-les-troubles-d%25E2%2580%2599usage-de-substances-addictives-en-stimulant-le-cerveau-r%25C3%25A9alit%25C3%25A9-ou-fiction-

[2] “Cortical and Subcortical Differences between Alcohol and Cannabis Dependant and Controls: Meta-Analysis Results from the Enigma-Addiction Working Group”, tel que mentionné sur "researchgate.net"

[4] Le DSM-5 est semble-t-il disponible en ligne, sinon, des exemplaires se vendent sur le site américain : https://www.psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm

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